Trésors d’archives n°43 – Mort accidentelle au régiment

Être au mauvais endroit au mauvais moment. C’est une série de concours de circonstances qui ont conduit à la mort d’un soldat dans sa chambrée à la caserne du 139^e RI d’Aurillac en août 1913.

Le soldat Darcis

Appartenant à la classe 1911, André Michel Darcis fut incorporé au 139^e RI le 10 octobre 1912. Originaire d’Ambert dans le Puy-de-Dôme, il y était cultivateur. Sa vie bascula en fin de journée le 7 août 1913.

Un soldat tue involontairement un camarade

Jeudi soir, vers 4 heures, nous apprenions qu’un terrible accident venait de se produire à la caserne. Un soldat venait de tuer son camarade. L’heure tardive ne nous permit pas de l’insérer.
Jeudi matin, le régiment avait manœuvré dans les environs d’Aurillac et un certain nombre de cartouches à blanc avaient été tirées. Le soir, selon l’usage, sergents et caporaux ramassaient dans les chambrées, les douilles de cuivre des cartouches usées au cours de l’exercice.
À la deuxième compagnie, le caporal Vidal avait procédé à la même opération. Parmi les cartouches qu’il croyait avoir tirées, il en prit une qu’il glissa dans son fusil. Malheureusement, cette cartouche à blanc n’était pas partie. La douille contenait et la charge de poudre et une partie de la balle en carton. La partie supérieure avait été accidentellement coupée.
Le caporal manœuvrait son arme. Soudain, une détonation retentit et, au même moment, on entendit un cri de douleur. C’était un soldat qui l’avait poussé. Couché sur son lit, il sommeillait quand il reçut, dans le ventre, le morceau de carton de la balle à blanc. Il avait pénétré dans les chairs. Le malheureux saignait abondamment. Ses camarades se précipitèrent à son secours. Mais le soldat, un nommé Darcis, originaire d’Ambert, ne put se lever. Le major, appelé immédiatement, examina le blessé et ordonna le transport à l’hôpital.
Malgré les soins les plus empressés et les plus diligents, le soldat Darsis a succombé hier matin. On croit que la blessure a déterminé une crise d’appendicite aiguë ; le coup avait fait balle (sic) et les intestins étaient perforés en plusieurs endroits.

Triste coïncidence ! La pauvre mère de Darcis qui habite Ambert (P. de D) est veuve. Elle eut le malheur de perdre, il y a deux ans, son fils aîné, mort au régiment. Elle avait fondé son espoir sur celui qui vient de succomber. Pauvre femme !!
Quant au caporal Vidal, il est actuellement en prison, fou de douleur, ignorant encore la mort de son camarade. Il est gardé à vue par un sous-officier, par crainte de suicide.
Une enquête est ouverte.

Le concours de circonstances est hélas fatal pour le soldat Darcis. Mais, plus terrible encore pour la mère, c’est le deuxième fils qui meurt au service d’après le journal. Est-ce exact ?

Un précédent terrible

Son frère Antoine Jean était de la classe 1904. Il fut affecté au 30^e BCP et y arriva le 30 octobre 1905. Il décéda effectivement le 7 décembre 1906 de la fièvre typhoïde à l’hôpital militaire de Montdauphin. Il est donc loin d’être décédé « il y a deux ans » comme le prétend l’article.

L’état civil de la commune d’Ambert confirme également ce qu’affirme l’article : le père, Sébastien Darcis, est décédé le 5 janvier 1908.

Le recensement de la commune d’Ambert nous apprend qu’en 1901 il y avait un 3^e frère, André.

Cependant, aucune trace de lui n’a été retrouvée, que ce soit dans l’état civil de la commune ou dans les archives du recrutement militaire. Par contre, une sœur prénommée Marie est présente dans le recensement précédent en lieu et place de cet André. Sa naissance en 1886 correspond aux 13 ans en 1901. Peut-être une erreur dans le recensement de 1901 ? C’est en tout cas ce que suggère le recensement de 1896 et toutes les autres informations trouvées.

Épilogue pour le caporal Vidal

Le caporal Darcis était de la classe 1911, comme André Michel. Originaire du Puy-en-Velay, il fut incorporé au 139^e RI le 10 octobre 1912. Il devint caporal le 15 avril 1913. Son passage devant le Conseil de guerre n’est pas présent sur la fiche matricule. Car même involontaire, il restait responsable d’un homicide.

La presse locale nous en apprend plus sur la fin de l’histoire et nous permet de constater les imprécisions dans le récit. Seul le témoignage présent dans les pièces du jugement permettrait de savoir quelle est la bonne version.

Conseil de Guerre du 13^e Corps

Le tragique accident du 139^e – Nous avons raconté en son temps le regrettable accident qui se produisit le 7 août 1913 au 139^e d’infanterie, à Aurillac, et qui coûta la vie au soldat Darcis, originaire d’Ambert.
Ce jour-là avait eu lieu un exercice de service en campagne. On avait distribué aux soldats un certain nombre de cartouches à blanc dont les étuis furent rendus aux chefs de section, après la manœuvre.
L’un des sergents était occupé à compter les étuis, lorsqu’on l’appela pour faire un autre service. Il chargea alors le caporal Claude Vidal, originaire du Puy, et dont la famille habite actuellement Belfort, de continuer le travail qu’il avait commencé.
Vidal trouva à un moment un étui dont la capsule n’était pas partie. Comme la balle en carton vert avait été coupée à hauteur du manchon de cuivre, il crût que l’étui était vide et le mit dans son fusil pour faire partir la capsule.
Il pressa la détente ; une détonation assez violente retentit et, en même temps, le soldat Darcis qui se trouvait assis sur son lit, en face du canon de l’arme, poussa un cri, en disant au caporal : « Tu m’as fait mal ! »
L’étui en effet, contenait encore un morceau de balle et sa charge habituelle de poudre, et le soldat Darcis avait été si grièvement blessé au ventre que, malgré tous les soins qui lui furent prodigués, il succomba après 13 heures d’horribles souffrances.
Le caporal Vidal, qui était au désespoir, fut alors arrêté et mis en prévention de conseil de guerre, sous l’inculpation d’homicide par imprudence.
À l’audience, l’inculpé, qui regrette profondément son imprudence, pleure abondamment. La victime était un de ses bons amis et il n’est pas douteux que ce malheureux accident est dû uniquement à la fatalité.

Me Ravoux, bâtonnier de l’ordre des avocats du Puy, défend le caporal Vidal avec beaucoup d’éloquence. Il sait apitoyer les juges sur son malheureux client, et après une courte délibération, le conseil prononce l’acquittement de Vidal.

Toujours au 139^e RI, le caporal Vidal partit avec le régiment et fut blessé une première fois le 25 août 1915 à Bazieu. Après les soins et le passage au dépôt, il fut envoyé en renfort au 22^e BCP le 17 septembre 1915. Blessé une seconde fois le 5 novembre 1916 au Rechakerkopf, il fut proposé pour passer dans l’artillerie par la commission de réforme en 1917. Affecté au 86^e Régiment d’Artillerie Lourde, il décéda de maladie à l’hôpital auxiliaire n°2 à Lyon le 21 septembre 1918.

En guise de conclusion

À l’exception de l’erreur sur la date de la mort du premier fils et les imprécisions quant au positionnement de la victime lors du coup de feu, l’article a donné des éléments assez précis pour confirmer la mort de ces deux frères au service actif et découvrir le sort du caporal responsable du tir malencontreux.