Le service militaire, ou tout autre événement sortant de l’ordinaire, était l’occasion de se faire photographier. Les photographes ambulants (et probablement les sédentaires) profitaient des événements de la vie militaire pour proposer leurs services : manœuvres, portraits de groupes, mais aussi comme dans l’exemple qui va être proposé lors d’interventions liées à des faits exceptionnels. Direction Paris, en 1910, lors de la mémorable inondation.
- Les inondations de Paris en 1910
Pour étudier cette image, je ne vais pas faire l’historique complet de cet événement dont on se fait encore régulièrement l’écho dans les médias. Plusieurs sites permettent d’en comprendre la chronologie, l’étendue, les conséquences, à Paris mais aussi dans les autres villes touchées.
Grâce à l’ardoise du photographe, le contexte de la prise de vue ne fait pas de doute. Pour bien comprendre la présence de ces hommes ici, dans de telles circonstances, il faut tout de même dire quelques mots du rôle de l’armée dans ces événements.
Ce furent d’abord les troupes du génie qui furent mises à contribution : construction de passerelles sur pilotis, mise en œuvre des embarcations, dégagement des ponts, renforcement des digues. Le 25 janvier, Paris et ses alentours furent divisés en 6 puis 8 secteurs dès le 26, chacun sous la responsabilité d’un général ayant des troupes à sa disposition pour le service de sauvetage, de ravitaillement et de surveillance. Des troupes arrivèrent en renfort des régions militaires voisines (Ière, IIe, IVe, Ve, IXe, XVe et XVIIe CA), à partir du 26 janvier.
1er secteur | Saint-Denis | 5e Brigade d’infanterie |
2e secteur | Vincennes | 19e Brigade d’artillerie (12e RAC et 23e Dragons) |
3e secteur | Villeneuve-Saint-Geroges | Zouaves |
4e secteur | Seine-et-Oise | ? |
5e secteur | Paris | 12e Brigade d’infanterie + 101e RI + 1er Cuirassiers |
6e secteur | Paris | 19e Brigade d’infanterie |
7e secteur 8e secteur | Paris | 11e Brigade d’infanterie + 104e RI ? |
Par exemple, le 45e RI (un bataillon de 400 hommes) quitte Laon pour Paris le 27 janvier. D’autres unités suivent (liste non exhaustive) : 45e RI de Laon, 51e RI de Beauvais, 72e RI d’Amiens, 115e RI de Mamers, 117e RI du Mans, 1er RI de Cambrai, 43e RI de Lille.
Le dernier renfort arrivé, le 31 janvier, destiné à relever certaines unités engagées ou à rester en réserve, « deux bataillons du 110e RI de Dunkerque et du 127e de Valenciennes » indique la revue Armée et Marine dans son numéro du 16 au 27 février 1910, page 44.
- Ches gins de ch’Nord
Le 127e RI de Valenciennes recrute majoritairement dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais. La consultation de plusieurs registres matricules des Archives départementales pour les classes au service en janvier 1910 (classe 1907 et 1908) de ces deux départements le confirme.
Le numéro du régiment est nettement visible sur les cols et les képis de ces hommes qui sont majoritairement caporaux et sergents, que les numéros aient été surlignés à la craie ou non. D’ailleurs cette craie a servi à repasser les galons de grades en blanc et à inscrire à la craie la marque d’un prix de tir et deux numéros supplémentaires sur certaines capotes. Ces derniers numéros sont des indices précieux pour dater avec un peu plus de précision cette image.
- Faire parler les indices
Pour en savoir un peu plus sur cette photographie, on dispose de trois éléments :
– un reflet dans une fenêtre ;
– le régiment, et même la compagnie ;
– deux numéros inscrits sur les capotes : 224 et 595.
Je vais commencer par le reflet dans la fenêtre, qui, mis en rapport avec l’unité, permettrait de trouver la localisation exacte de la prise de vue. Mais il faudrait avoir des informations supplémentaires : la zone d’arrivée, de départ et le secteur de déploiement des hommes du 127e RI pourrait aider à localiser cette prise de vue. En effet, on voit très nettement l’entrée d’un bâtiment officiel ou de vente de grande taille. Des bâtiments étaient mis à disposition des hommes pour se reposer dans chaque secteur. Cette photographie pourrait avoir été prise à proximité du lieu où était ce bataillon du 127e.
Les numéros inscrits sont plus faciles à faire parler. Il s’agit du nombre de jours séparant un homme de la fin de son service militaire. En janvier 1910, deux classes sont sous les drapeaux : la classe 1907 et la classe 1908. Ceux à qui il reste 224 jours sont donc de la classe 1907 et ceux qui ont 595 jours sont de la classe 1908. Théoriquement, cela permet de dater une photographie, pour peu que l’on connaisse la date de fin de service. Par chance, la majorité des hommes étant du Nord et du Pas-de-Calais et ces départements ayant mis en ligne les fiches matricules de ces classes, il a été aisé de trouver des hommes affectés au 127e RI et leur date de départ de la caserne.
Pour la classe 1907, seule la date du 25 septembre 1910 a été trouvée, pour la classe 1908, la libération semble s’être échelonnée du 24 septembre au 1er octobre 1911. Reste à savoir s’il est possible de déterminer la date de prise de vue.
Classe | Reste | Si libération au | Prise de vue le | Si libération au | Prise de vue le | ||
1907 | 224 jours | 26/09/1910 | 14/02/1910 | 25/09/1910 | 13/02/1910 | ||
1908 | 595 jours | 01/10/1911 | 30/09/1910 |
On a donc des dates pouvant correspondre aux données trouvées dans les fiches matricules, s’il s’agit bien des dates de libération annoncées aux hommes à partir desquelles ils faisaient leur décompte. La seconde hypothèse, du 13/02/1910 semble la plus logique, les dates de libération trouvées pour l’instant pour les hommes du 127e RI de la classe 1907 étant ce jour.
Il s’agirait donc d’une photographie prise à la fin des événements.
- En guise de conclusion
Cette photographie donne quelques indices intéressants, permettant d’envisager d’en savoir plus. Malgré l’absence de texte et de noms, ce qui manque ce ne sont pas les indices ou les pistes, mais les sources permettant de suivre ces pistes et donc de faire parler l’image. La recherche est aussi un exercice où il faut savoir être patient et revenir plus tard sur cette photographie qui a 102 ans.
- Pour en savoir plus :
Deux sites sur la crue de 1910 : Le fil du temps et Crue 1910, parmi bien d’autres.
Armée et Marine, n° 122, 16 au 27 février 1910, pages 43 et 44, accès direct sur Gallica.
Source : L’écho de Paris, 27 janvier 1910, accès direct sur Gallica.
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