- Seize Hommes en manœuvre
Cette photo carte présente seize hommes posant en extérieur. Quinze d’entre-eux, jeunes, sont vêtus de leur treillis. Leur bourgeron, du modèle 1882 s’enfile par la tête.
Le ceinturon ne semble pas fabriqué en cuir mais en toile. Les cartouchières sont vides.
Ces hommes présentent également différents types de bandes molletières (de gauche à droite) : réglementaires, fixées par une boucle ou fixées par un lacet.
Le bourgeron de cette recrue porte le marquage réglementaire au revers.
L’homme de gauche est lui en capote type 1914, à une rangée de 5 boutons, son grade de couleur sombre est bien apparent sur sa manche.
Son képi ne semble pas réglementaire et aucun signe distinctif n’est apparent. Le grain de la photographie empêche de discerner clairement la patte de col.
- À l’exercice
Ces soldats posent en compagnie de leurs mousquetons disposés en faisceaux.
La vue est dégagée. Ne ressort qu’un bâtiment assez particulier. L’arrière-plan semble néanmoins plutôt urbanisé avec la présence d’un bec à gaz.
Ces éléments font pencher pour une prise de vue autour du fort de Villeurbanne dont un bâtiment dispose d’une architecture qui semble correspondre.
- Seize hommes, autant d’attitudes
Même si la plupart posent sérieusement, certains se détachent par leur comportement. Le port du bonnet de police plus ou moins bien posé renforce l’aspect sérieux ou non, du martial au comique en passant par le « dur ».
Quatre de ces soldats ont le regard attiré par ce qui se passe à droite du photographe.
Dix autres regardent l’objectif. Un seul regarde à l’opposé. Mais ses yeux semblent plutôt fixer le vide.
Classiquement certains posent avec une cigarette ou une pipe non allumée donnant un semblant de virilité à ces visages bien jeunes.
- La cousine Emma
L’auteur, Charles, écrit à sa cousine Emma :
« Lyon, le 23 Août 1916
Chère Emma,
Tu dois trouver que je ne te réponds mais comme je m’étais fait photographier avec quelques copains j’attendais de les avoir pour t’en envoyer une elle n’est pas très bien mais plus tard lorsque je serais un peu mieux habillé que ce que je suis je me ferais tiré et je t’en enverai une.
Le métier militaire va toujours a peu près il ne faut pas trop se plaindre.
Nous avons eu la visite de mon frère il était en permission il est reparti dimanche pour le moment il est à Toulon pour réparer leur bateau.
Pour le moment je ne vois rien autre à te dire. Embrasse bien tes parents pour moi.
Je termine en t’embrassant bien fort
Ton cousin Charles »
Une carte écrite en août 1916, ces jeunes sont sans doute de la classe 1917, appelée sous les drapeaux en janvier de la même année. Malgré cette correspondance, aucun nouvel indice – adresse ou cachet postal – ne permet d’identifier le régiment d’appartenance de ces jeunes hommes.
Aucun détail non plus ne permet d’identifier personnellement ce soldat. Quel est son nom ?
Impossible d’aller plus loin sans plus d’éléments. La réponse viendra avec la trouvaille d’une seconde carte toujours du cousin Charles à la cousine Emma. Chronologiquement antérieure, si le recto n’a aucun intérêt pour la recherche, le verso de cette seconde carte présente l’avantage de préciser le nom de la cousine.
« Albertville, le 12 3/16
Chère cousine,
Je réponds à ton aimable carte que je viens de recevoir je suis très heureux de vous savoir en bonne santé moi ca va toujours bien je ne m’en fais toujours pas
Tu me parles de l’oncle Alcide mes parents ont vu la tante Marguerite elle n’a pas de nouvelles depuis longtemps s’il est du côté de Verdun ou l’on se bat si fort mais il ne faut pas s’étonner si l’on ne reçois rien les correspondances n’arrivent pas. J’ai également des nouvelles de Jeanne, elle va très bien, elle me parle si je n’irai pas faire un tour à Luzerand cet été mais il ne faut pas trop y compter.
Reçois chère cousine ainsi que tes parents un bon baiser
Charles »
Alors qu’il devrait être sous les drapeaux depuis janvier, Charles est en Savoie en mars, ce qui paraît très court pour avoir une permission. De plus, il ne parle aucunement de sa vie militaire, mais de celle de son oncle. De plus la carte qui lui sert de support est une classique carte de vœux et non un tirage militaire.
Emma Sylvestre (ou Silvestre), la cousine, vit à Menglon, petite commune du sud de la Drôme. Elle est fille de cultivateurs. Elle est la fille de Paul et d’Emma Debeaux, qui se sont mariés le 17 avril 1897 après le veuvage de la première épouse de Paul. Emma Hortence est leur premier enfant, elle naît le 22 février 1898.
Charles est donc le fils d’un frère ou d’une sœur de Paul ou d’Emma Debeaux.
La réponse est trouvée dans la famille Debeaux. En effet, en plus de quatre sœurs, Emma a deux frères. Le premier Alcide Daniel naît en 1862. Celui-ci devait avoir pris comme prénom celui de Daniel, puisque son frère, né en 1878 se prénomme Alcide également !
Daniel épouse Maire Mauric en 1887. Il est alors meunier. Sa fiche matricule indique qu’en 1889, il est nommé gendarme à pied. En 1897, Charles Debeaux naît à Lyon dans le deuxième arrondissement. Il est donc bien de la classe 1917. Lors de son passage devant le conseil de révision, il est classé dans la 5ème partie pour « faiblesse ». Il n’est donc pas appelé dans une unité en janvier 1916 comme les autres conscrits de la classe 1917. Il est donc toujours civil lorsqu’il écrit sa carte de Savoie en mars 1916. Néanmoins, la loi du 18 avril 1916 le rattrape. Il repasse devant une commission et est alors déclaré « bon pour le service actif ».
Sa profession d’horloger mécanicien aiguille peut-être son affectation puisqu’il est dirigé vers le 2ème groupe d’aviation basé à Lyon Bron.
Il arrive au corps le 7 août 1916. Il y est donc depuis seize jours lorsqu’il écrit à sa cousine. Il n’y reste guère plus longtemps puisqu’il est affecté à l’école d’aviation de Cazeaux le 31 août 1916. Cette fiche matricule est malheureusement pauvre en détails concernant les activités du soldat Debeaux durant le conflit. Il a été hospitalisé deux fois en 1918 et démobilisé en 1919.
- Que sont-ils devenus ?
Charles Debeaux : marié en Savoie en 1921, il s’éteint le 21 janvier 1965 à Villeurbanne
Emma Sylvestre : la cousine décède en 1951 dans la Drôme, proche de son village de naissance et où elle a passé sa vie.
Oncle Alcide (Debeaux) : la carte du 17 mars est émouvante car Charles tente de rassurer sa cousine quant au sort de leur oncle engagé à Verdun et dont on est sans nouvelle. Âgé de 38 ans, le soldat Debeaux exerce le poste de 2ème canonnier. Il est tué dans la Meuse le 6 mars 1916, soit onze jours avant l’écriture de la carte.
Daniel Debeaux fils : né dans le Rhône en 1889, Daniel fait partie de la classe 1909. Il épouse Marie Vincent en 1913 à Lyon où il exerce la profession d’ouvrier tourneur. Engagé volontaire en 1908, il est affecté à la flotte de Toulon. En sursis d’appel à la mobilisation, il rejoint le 5ème dépôt le dimanche 20 août 1916, comme indiqué dans la carte. Dans sa carrière il a servi sur le Gloire, le Du Chayla ainsi que sur le torpilleur Téméraire. Il finit la guerre avec le grade de second maître. Il est rétrogradé canonnier 2e classe suite à une condamnation pour recel en 1930.
- Sources
Archives départementales de la Drôme : https://archives.ladrome.fr/
2M894/R2, vue 395/407 : état civil de la commune de Menglon, naissance d’Emma Sylvestre
Archives municipales de Lyon :
2E1771, vue 134/202, état civil de la commune de Lyon, 2e arrondissement, 1897, naissance de Charles Debeaux
Archives du Rhône :
1RP1846, vue 398/824 – Fiche matricule Charles Debeaux, classe 1917, bureau de recrutement de Lyon central.
1RP1139, vues 104 à 107 – Fiche matricule Daniel Debeaux, classe 1909, bureau de recrutement de Lyon central
Divers :
Fiche MPF Mémoire des Hommes DEBEAUX Alcide
Carte postale du fort de Villeurbanne : Wikipédia, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_Grand_Camp_et_le_fort_de_Villeurbanne.jpg?uselang=fr
Histoire de la base de Lyon Bron : http://www.museemilitairelyon.com/spip.php?article96&debut_intro_articles=10
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Image : collection T. Vallé. Réutilisation interdite sans l’autorisation du propriétaire.
Mise en ligne de la page : 30 mai 2021