- La mobilisation
La mobilisation est annoncée par des affiches le 1er août en fin de journée. On ne sait pas comment Jules prit la nouvelle, ce que Jeanne et lui purent se dire, imaginer jusqu’à son départ le lendemain après-midi. Jules quitte Chartres à 15h00 et se rend à Beaurepaire à bicyclette avec deux camarades, mais ce n’est pas encore pour rejoindre son affectation : il n’est convoqué que le troisième jour de la mobilisation. Il mettra 5 heures pour parvenir à Beaurepaire1. Il profite de ses dernières heures de civil pour voir sa famille et organiser le retour de Jeanne à Beaurepaire afin que tout se passe bien jusqu’à l’accouchement qui est prévu fin septembre.
Son père va chercher Jeanne, probablement en voiture à cheval, le soir même. Jules doit rejoindre Le Mans le lendemain.
Alors que l’on sait finalement si peu de sa vie d’avant-guerre, il est étonnant d’avoir de tels détails à partir du 2 août 1914. Rien de romancé ici : il a simplement, comme un grand nombre d’hommes, entrepris de prendre des notes au quotidien dans un carnet. La majorité des informations concernant Jules provient de son carnet dont la transcription intégrale est accessible ici.
- L’attente du départ pour la zone de concentration
Comme les autres mobilisés, Jules va suivre les étapes prévues par le Plan XVII. La première phase prévoit le transport de mobilisation : les mouvements par voie ferrée d’isolés ou de groupes d’hommes rejoignant leur centre de mobilisation, s’effectuent pendant les quatre premiers jours sur tout le territoire. Ainsi, le 3 août, Jules se rend avec son père à Montlandon, rejoint par Gustave Tasse (son ami, témoin de son mariage) puis monte dans un wagon à bestiaux à la gare de La Loupe. Il arrive au Mans à 14h00 le même jour. Le Mans est le centre de mobilisation du 4e Corps d’Armée. La 4e Section de secrétaires d’état-major à laquelle appartient Jules fait partie de ce Corps.
La deuxième phase commence le 4e jour de la mobilisation : les transports de concentration convergent vers la zone des armées du nord-est afin de prendre l’offensive le plus vite possible2. Pourtant, Jules n’est habillé que le 4e jour. Il arrive à Chartres avec 12 autres secrétaires et 4 cyclistes le 6e et ne quitte la ville pour le front que le 9e jour. Mais il n’y a pas contradiction avec ce qui vient d’être écrit. Jules a été affecté comme secrétaire d’état-major à l’état-major du 3e G.D.R. (Groupe de Divisions de Réserve). Il part donc vers le nord-est dès le début de la deuxième période qui s’étend du 9e au 12e jour pour les divisions de réserve. La dernière période va du 5e au 15e jour pour les divisions territoriales.
En fait, Jules ne précise jamais à quel état-major il est affecté à partir du 7 août. Il écrit qu’il est au 3e G.D.R., mais sans dire si c’est à l’état-major ou à une division qui en dépend. Quelques indices peuvent nous permettre de répondre. Tout d’abord, il ne site que des officiers de l’état-major du 3e G.D.R., non de l’état-major de l’une des trois divisions qui composent le G.D.R. (les 65e, 67e et 75e Divisions de Réserve en septembre). Ainsi, il note l’arrivée à Verdun le 11 août du commandant du G.D.R., le général Durand [Paul-Adrien-Hippolyte]. De même, lors de la dissolution en novembre, il note les adieux du Lieutenant Colonel Diébold [Marie-Joseph-Antoine], qui est chef d’état-major du 3e G.D.R., ainsi que la « désignation de 3 secrétaires devant rester à l’EM de la 65e DR ». S’il avait été à cette Division de Réserve, il aurait probablement noté qu’ils devaient rester à la division. Surtout, vu les changements d’affectation des différentes divisions de réserve, les divisions dans le G.D.R. ne sont pas les mêmes en août et en septembre.
Pendant les 9 jours qui le séparent du départ, Jules semble se débrouiller pour maintenir un minimum de vie civile. Dès qu’il le peut, il dîne en dehors de la caserne : au Mans avec son ami Mardelay le 3 août, puis le lendemain sans préciser avec qui ; à Chartres, il va encore plus loin : non seulement il mange chez lui avec Mardelay après avoir fait sauter la serrure, mais il y dort. Il précise « Je me débrouille » pour indiquer qu’il préfère dormir chez lui que dans la ferme où est son unité. Il note le 8 août « Pour ma part, connaissant Chartres, je fais des courses en ville ».
Toutefois, ces moments ne sont que des instants volés à la vie militaire qui prend la majorité de son temps. Parmi les activités de ces quelques jours, on trouve l’équipement (au Mans le 5 août), revues avant chaque départ (le 6 au Mans et le 8 à Chartres), corvées et gardes (il échappe à une garde de nuit, ce qui lui permet de dormir une dernière fois chez lui). Il ne fait guère de doute qu’il eut aussi à faire des taches liées à sa fonction : il rejoint les bureaux du 3e G.D.R. installés dans un grenier au 28 rue de Bonneval qui entrent en service le lendemain.
- En route pour la zone de concentration
De Chartres, Jules est envoyé à Verdun, lieu où le 3e G.D.R. doit soutenir la IIIe Armée. Précisons que les troupes du 4e Corps du Mans sont toutes envoyées autour de Verdun, ce qui explique que Jules retrouvera de nombreuses connaissances parmi les blessés mais aussi parmi les combattants (notamment au 302e RI de la 54e DR appartenant au 3e G.D.R., régiment mobilisé à Chartres). Son voyage commence le 9 août au départ de la gare de Lucé et s’achève à la gare de Dugny, au sud de Verdun, le 11 à 4 heures du matin.
- L’état d’esprit de Jules en ce début août
On est largement revenu sur l’image qu’on avait initialement donné à ce début de guerre : celle de soldats partant joyeux. Si de telles scènes se sont déroulées dans certaines villes et autour de certaines gares, elles tiennent plus de l’encouragement sincère masquant l’angoisse que d’un état d’esprit général. Jules mentionne les encouragements de la population au cours du trajet vers Verdun, le 10 août : « Nous sommes acclamés partout, femmes et enfants nous disent au revoir en passant » On crie à Berlin de tous les côtés ». Mais ce sont les seuls mots qui décrivent cette situation chez Jules. Le 3 août, à l’occasion du trajet vers le Mans, il note « Lucien Gibierge pleure ». On s’encourage entre civils et militaires, mais la réalité est cette peur de tout perdre, cette angoisse réelle. Nulle part dans son carnet il n’y a de joie à aller à la guerre, ni de joie que la France prenne sa revanche. On est plus dans l’esprit des hommes qui quittent leur foyer à regret que dans celui des personnes qui rêvent d’en découdre. Il laisse une femme qu’il vient d’épouser et qui est enceinte. La seule allusion patriotique dans les documents conservés est visible dans la carte qu’il envoie à Jeanne pour lui souhaiter son anniversaire (voir ci-dessous).
Suite – 9. Jules et la réalité de la guerre (11 août – 2 septembre 1914).
Publication de la page : 2 août 2014