Les photographies de groupe sont souvent une source importante de frustration : elles permettent rarement de déterminer qui est immortalisé par le photographe, surtout quand le verso est vierge. Ici, un soldat a utilisé le support pour écrire et a eu la bonne idée de localiser, de dater et de signer son message. Mais la recherche n’est pas simple pour autant.
- Un jeune mobilisé avec la classe 1915
Pour une fois, commençons par ce que nous savons. La photographie nous montre six jeunes soldats devant un fond végétal assez courant dans les studios de professionnels.
L’identification du régiment d’affectation ne pose aucune difficulté : certains képis et les cols de capote indiquent tous 130e RI.
Tout en confirmant l’affectation au régiment dont le dépôt est à Mayenne, en Mayenne, le texte donne quelques éléments complémentaires.
« Mayenne le 14 janvier 1915
Cher parents
Le métier va toujours bien, cette semaine nous n’avons pas fait grand chose nous avons été un soir au service en campagne il faisait un temps superbe c’était plutot une promenade, hier nous avons été vaxiné pour la typhoïde et aujourd’hui nous avons repos il y en a qui sont bien malade moi, ça ne me fait pas grand chose. mon rhume est passé et je suis bien portant. Je viens de recevoir à l’instant une carte de Marcel Brière il est toujours au front il ne se plaint pas trop il dit qu’il couche souvent dehors et qu’il y est habitué maintenant, il vous souhaite bien le bonjour. Hier j’ai reçu une lettre de Lisieux il m’envoie cinq francs en mandat je l’ai remercié de suite. il vous souhaite aussi bien le bonjour. ils me disent que henri vous a écrit au nouvel an et qu’il y a longtemps qu’ils ont reçu de vos nouvelles. Je termine pour aller manger le rata. Votre fils pour la vie. Auguste Goideau »
Les quelques mots sur son entraînement et le déroulement de sa vie de jeune conscrit (vaccination, service en campagne) nous montrent que l’homme qui écrit est une nouvelle recrue. Il donne des détails qu’il n’aurait pas eu à préciser si son entraînement avait été plus poussé ou déjà du passé. Il a donc été incorporé fort probablement avec la classe 1915 à la mi-décembre 1914.
- Quelques détails
Cette image, bien que très figée, montre deux détails intéressants. Ce jeune soldat porte un petit drapeau tricolore sur sa capote.
Tout trahit la jeunesse de son voisin de droite, engoncé dans son uniforme.
- Trouver une jeune recrue du 130e RI
Partir d’une simple signature pour retrouver un conscrit n’est pas toujours simple. S’il ne s’agit pas d’un patronyme courant, celui-ci a le défaut d’être mal écrit.
Méthodologiquement, il s’agit de chercher un homme appartenant probablement à la classe 1915, ayant un nom commençant par « G » et se terminant par « deau » dont le prénom est Auguste. Au moment de la recherche, le nom correct n’avait pas été trouvé.
Afin de limiter les possibilités, l’affectation au 130e RI est un indice utile. En effet, l’affectation des jeunes recrues n’est pas réalisée de manière aléatoire. Ce sont des groupes d’hommes qui viennent de bureaux de recrutement spécifiques. Pour le 130e RI, les jeunes de la classe 1915 viennent des bureaux suivantsi :
Bureau de recrutement | Effectif envoyé au 130e RI |
Laval | 50 |
Mamers | 150 |
Le Mans | 200 |
Alençon | 55 |
Argentan | 200 |
Seine 3e Bureau | 250 |
Non déterminé | 100 |
Total | 1005 recrues |
Source : SHD GR 16 N 326 : Ministère de la Guerre, Arrêté relatif à la répartition entre les corps et à l’appel à l’activité du contingent de la classe 1915 et des ajournés des classes 1914 et 1913, 20 novembre 1914.
On peut donc chercher dans les tables des registres matricules des départements de ces bureaux sans avoir à essayer de trouver au hasard dans tous les bureaux de recrutement voisins. C’est dans la Sarthe que le nom est apparu clairement : Goideau Auguste.
Né le 7 septembre 1895, il appartient à la classe 1915. Il est incorporé le 15 décembre 1914 au 130e RI avant de passer au 124e RI le 1er mai 1915. Tout concorde.
- Auguste Goideau sur la photographie
La dernière question est de savoir où est Auguste sur le cliché. En effet, il ne donne aucun indice. Il ne reste que le signalement de sa fiche matricule afin de proposer une hypothèse.
Il est blond aux yeux bleus, possède un front large, un visage ovale et mesure 1 mètre 68. Voilà tout ce dont on dispose. Autant dire trop peu car la couleur des yeux est impossible à déterminer et la couleur des cheveux est en grande partie cachée par les képis. Restent les sourcils, mais ici encore difficile de percevoir les nuances entre le blond et le châtain clair.
Si son visage reste inconnu, son sort ne l’est pas. Probablement envoyé dans la zone des armées, il en est évacué en novembre 1915 pour « congestion pulmonaire ». Soigné, il rejoint le dépôt du 124e RI le 17 mars 1916, suit un stage de mitrailleur à partir du 20 mai. Mais le 20 juin, il est hospitalisé à Fresnay, dans la Sarthe, pour sa congestion pulmonaire. Il y décède le 7 juillet 1916.
Et c’est là que la recherche sur Internet donne parfois des résultats inimaginables auparavant : il existe une photographie d’Auguste Goideau en uniforme du 130e RI, prise chez un photographe !
Grâce à cette image, on se rend compte que notre soldat avec son petit drapeau tricolore est Auguste Goideau : mêmes oreilles, même bas du visage. Pour une fois, on peut découvrir un visage de soldat sans son képi.
La consultation de sa généalogie montre qu’il eut un frère qui fut aussi mobilisé avec la classe 1918. Il fut également tué au front. Leurs noms figurent sur le monument aux morts de la commune d’Assé-le-Boisne.
- En guise de conclusion
Ce cliché aurait pu appartenir à la catégorie des images frustrantes ne permettant pas de retrouver l’auteur du courrier au dos. Pourtant, grâce à la mise en ligne de documents par une utilisatrice de généanet, il a retrouvé un visage. Le travail d’indexation individuel dans Généanet ou institutionnel par les AD72 ont permis de le retrouver assez simplement. Mais il faut aussi un peu de chance : que l’homme soit indexé et ait son portait mis en ligne. Ce qui doit être une incitation à partager ses documents afin d’aider à la recherche.
- Sources :
Archives départementales de la Sarthe
1 R 1256 : fiche matricule de Goideau Auguste, classe 1915, matricule 376 au bureau de recrutement de Mamers.
Autre photographie d’Auguste Goideau : Généanet, https://www.geneanet.org/media/public/auguste-goideau-2001776
SHD GR 16 N 326 : Ministère de la Guerre, Arrêté relatif à la répartition entre les corps et à l’appel à l’activité du contingent de la classe 1915 et des ajournés des classes 1914 et 1913, 20 novembre 1914.
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Bonjour Arnaud,
Merci pour cette nouvelle enquête et plus globalement pour avoir repris vos publications. C’est désormais dans le rituel dominical de passer voir le nouvel article sur votre site.
Benoît
Merci beaucoup !
Bonjour Arnaud,
je partage l’enthousiasme de Benoit, moi aussi j’attends le dimanche soir pour lire une nouvelle recherche.
Cordialement, Serge.
Merci beaucoup pour votre enthousiasme et votre lecture !
Cordialement,
Arnaud
Bonjour Arnaud,
beau travail, toujours un plaisir de te lire.
la photographie de généanet m’a interpellé, avec les épaulettes.
J’ai suivi la piste du photographe et éditeur de cartes postales, Adolphe Chevrinais à Mayenne.
https://portraitsepia.fr/photographes/chevrinais/militaire-du-130e-regiment-dinfanterie/
la ressemblance est étonnante au niveau prêt uniforme, chevalet et posture.
Peut-être des trésors de photographies aux AD53…
Bien à toi
Frédéric/Scolari
Bonjour Frédéric,
Merci beaucoup pour cette piste. A suivre en effet !
A bientôt,
Arnaud