« Militaires du 32è RI de Tours – A Presles ». C’est ainsi qu’était présentée cette photo-carte sur un site de vente. En piètre état, ne donnant qu’une partie de la correspondance, sans nom, tout pour aiguiser la curiosité. Ce document s’est une fois encore révélé bien plus riche qu’au premier abord.
- Identifier le régiment et le lieu
Une recherche rapide dans l’historique du 32e RI de Tours a permis de constater que le régiment n’a pas approché de commune du nom de Presles en 1914. Un autre élément fait penser à une erreur d’interprétation du 32 : le visage particulièrement âgé des hommes.
Le 32 peut désigner le 32e RIT. La lecture de son JMO donne la réponse : il s’agit bien du 32e RIT d’Argentan, dont deux bataillons ont cantonné à Presles en octobre-novembre 1914. Pour l’identification de la commune de Presles, bien qu’il y en ait plusieurs en France, elle ne pose pas de problème, le 32e RIT étant en région parisienne toute l’année 1914. Ce qui ne fait que confirmer ce que la photographie disait puisqu’il y a le cachet du photographe apposé au verso de la carte et qui a sa boutique à Courbevoie dans la Seine à l’époque (à 25km à vol d’oiseau de Presles).
- Qui sont ces hommes ?
La réponse est « des hommes du 32e RIT », des hommes âgés de plus de 40 ans en général, souvent mariés, qui ne sont pas destinés à être en première ligne. Il est possible d’en dire un peu plus en s’attardant sur les détails de l’image.
Au centre, un lieutenant, à sa droite un sergent, deux caporaux, l’effectif pour l’encadrement d’une demi-section. Seul le nombre d’hommes ne correspond pas à l’effectif théorique qui devrait être de 27 hommes. Ici, ils ne sont que quinze.
Une fois encore, il ne faut pas se laisser abuser par la couleur blanche du grade de caporal. afin de le faire ressortir, ces hommes ont passé le tissu à la craie (qui a d’ailleurs débordé sur la manche de celui de gauche).
- 1914 ?
En règle général, les hommes marquaient sur leur capote le nombre de jours avant leur libération. Ici, il s’agit d’hommes mobilisés qui, à défaut d’une ardoise ou d’un morceau de bois comme on le voit souvent, ont écrit directement sur eux la campagne à laquelle ils participent. Avec la craie utilisée pour afficher le grade des caporaux. Cette date concorde d’ailleurs avec celle des écrits du verso et la localisation de l’unité. La boucle est bouclée. En parlant de boucle, on peut remarquer celle du ceinturon du lieutenant d’un ancien modèle. Sur sa plaque on peut deviner la figure du « génie de la France » sans que la mention « Honneur et patrie » ne soit lisible. Quant au sergent, il a reçu une décoration, probablement avant guerre pour une campagne coloniale.
- Une correspondance incomplète
Les écrits sont souvent très riches. Hélas, si cela semblait être le cas ici, on ne saura jamais tout ce qu’il y avait car la carte introduisait une lettre perdue.
« Presles, le 7 Novembre en forêt,
Ma Chère Petite,
J’ai reçu une carte de toi hier qui m’a fait bien plaisir. tu as dû recevoir plusieurs lettres dont une écrite au crayon. Je te donnais aussi l’adresse des gens chez qui j’habite que tu me réclamais avec tant d’insistance et ne me parle plus de rien. Je t’envoie une photo assez mal faite du reste qui a été prise le lendemain de la Toussaint où nous avons eu un peu de repos, chose bien rare. J’ai l’épaule droite complètement prise par les rhumatismes et je souffre énormément ; dis moi comment il se fait que tu…
J’espère que tu as reçu l’adresse en question, [M. ?] Compagnon 12 rue de Paris, Presles.«
Le peu que nous avons permet de dater avec précision la prise de la photographie (le lendemain de la Toussaint), donc le lundi 2 novembre 1914. Il est amusant de constater que notre soldat n’est pas satisfait de la qualité de la photographie obtenue. Non qu’elle lui ait été vendue dans l’état où elle se trouve aujourd’hui, mais ses bords sont flous et sous-exposés.
Bien souvent dans ce type d’image, la personne ne prend pas le soin d’indiquer où elle est, la personne recevant la carte le reconnaissant immédiatement. Ou c’est parfois par une croix et pas de nom derrière. Il est rare de tout avoir.
- 12 rue de Paris, Presles, Seine
Le 32e RIT cantonne à Presles à cette période. Notre homme indique avec précision où afin que son épouse (selon toute vraisemblance) lui écrive directement.
Même si elle est devenue la rue Pierre Brossolette, il n’est pas difficile de retrouver la rue de Paris. Son tracé n’a pas changé. Grâce à Géoportail qui a une couche « cadastre », il est aisé de retrouver un numéro de maison. Le 12 est là :
Son extérieur a-t-il connu des modifications depuis 1914 ?
L’auteur de la lettre indique qu’il est en forêt au moment où il écrit. Les hommes du 32e RIT travaillant dans les forêts voisines pour organiser des défenses en cas de retour allemand. La carte suivante montre bien, même si elle date de 1960, que Presles se trouve entre deux forêts.
C’est d’ailleurs à ces travaux qu’il faut probablement attribuer les douleurs au bras droit dont il se plaint dans sa carte. A moins que les 40 kilos d’équipement ne pèsent aussi bien lourd (mais il ne devait pas être porté pendant les travaux réalisé par le régiment).
Encore une des nombreuses questions ne manquent pas de venir suite à l’étude de cette carte et des cartes. Où a-t-elle été prise ? A Presles ? Probablement, mais où ? Qui était cet homme ? Ah ! Si cette photo carte pouvait parler…
- En complément :
Le parcours du 32e RIT en 1914 à partir du JMO (références dans les sources)
Mobilisé à partir du 2 août 1914, à son départ d’Argentan vers Paris, le régiment compte 3 bataillons à 4 compagnies. Ses effectifs sont de 48 officiers, 198 sous-officiers et 2676 soldats.
Tout le mois d’août, les bataillons du 32e RIT occupent des forts de Paris. Le régiment appartient à la 166e brigade d’infanterie, elle même composante de la 83e Division d’infanterie territoriale qui est intégrée au Camp Retranché de Paris.
L’approche des troupes allemandes de Paris début septembre entraîne la formation du Corps d’Armée Mercier-Milon (86e DIT, 92e DIT, 166e BI – dont les 1er et 2e bataillons du 32e RIT complétés par le 2e bataillon du 29e RIT – Brigade des fusiliers marins). Le régiment est en position autour de Mériel et Villiers-Adam.
Fin septembre, le régiment fournit des travailleurs, participe à des manœuvres. Cette dernière activité est liée à la note confidentielle n° 1993 9/11 du ministère de la guerre qui vise à prélever des hommes des plus jeunes classes de territoriaux pour compléter les effectifs des régiments de réserve. Il convient donc de ne pas entraîner les territoriaux qu’à des activités liées à la guerre de siège, mais aussi de leur faire exécuter des marches et des exercices pour les préparer à la guerre de campagne.
Du 5 au 21 octobre, le régiment participe à la mise en place d’une ligne de défense entre Villiers-Adam, Bessancourt et Taverny. Le 21, le régiment change de cantonnement. Les 2e et 3e bataillons sont à Presles, le 1er à Verville. Du 22 octobre au 30 novembre, ce sont de nouveaux travaux de défense qui sont au programme. Le régiment quitte ce secteur le 11 décembre 1914.
- Sources
SHD 26N781/7 : JMO du 32e RIT. L’historique du 32e RIT n’étant qu’une copie résumée du JMO, seule cette dernière source a été utilisée.
JMO de la 83e Division d’infanterie territoriale, SHD, SHD 26N409/6, page 13.
Site Géoportail
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