La recherche sur une photographie commence par quelques observations, parfois un nom. On ne sait que rarement ce qu’on va découvrir à la fin. Quand c’est une photographie de territoriaux écrite, plus qu’un jeune conscrit, on peut s’attendre à des nouvelles de la famille et une guerre plus en arrière. C’est l’instantané que propose ce cliché.
- Au repos, à l’arrière
René Rivière pose en compagnie de camarades de son régiment identifié clairement dans son courrier. Les numéros blancs visibles sur les képis et les cols sont bien ceux du 39e RIT. Il a même la bonne idée de préciser qu’il est affecté à la 5e compagnie. Une main a ajouté une croix au style bille bleu afin de le repérer.
Ces hommes ne sont pas les plus vieux mobilisés. René est de la classe 1898. Il a donc 37 ans environ. Ce sont donc des visages de trentenaires, avec des uniformes approximatifs au niveau des tailles pour les deux hommes aux extrémités. Les physionomies, les coiffures, le port de l’uniforme ne donnent pas l’air martial imaginé pour des militaires.
Installés dans un jardin de Thiaville, ils posent en tenue de repos. Deux ont retiré les godillots pour les remplacer par des sabots. L’un a gardé ses jambières. On note au passage les pierres mises sous les pieds du banc pour qu’il soit bien droit sans s’enfoncer dans le sol humide de janvier.
Malgré l’absence de JMO, l’historique est assez précis pour proposer un contexte à cette image : le régiment vient d’arriver dans le secteur. Il y est depuis le 20 janvier.
En attendant, la vie doit être calme, il écrit :
« Chère Tante et Chers Cousines
Je viens vous faire savoir mes nouvelles qui sont toujours très bonne pour le moment J’ai été un peu enrhumer mais enfin cela va mieux. Je vous direz que je ne suis plus au Bambois nous avons fait trois jours de marches très fatiguante (sic) par la niege (sic) mais enfin nous ne somme pas plus malheureux qua Bambois sauf que nous couchons dans les greniers pour le travaille cest le même nous somme près de Raon létaple lautre coté de Ramberviller Je ne sais si nous allons y être longtemp. Quand je le saurai je vous le dirais. Bonjour aux Cousins pour moi. Je vous embrasse bien des fois de tout mon cœur. Votre neveu et cousin Rivière René »
Étonnamment, René ne se prive pas de donner des indications géographiques précises. Il vient de quitter le fort du Bambois au sud de la place d’Épinal pour Thiaville, non loin du front en Meurthe-et-Moselle.
- Un repos de courte durée
Cette photographie est un instantané de repos. Observons une partie du groupe une dernière fois, sans les brêlages, sans les fusils. On devine à peine la baïonnette sur le côté gauche des hommes portant le ceinturon comme René.
La suite du parcours de René Rivière est moins paisible. Loin d’être une unité territoriale de l’arrière ne faisant que ravitailler et travailler en ligne, le 39e RIT est un régiment qui est intégré à la 141e brigade d’infanterie. Le secteur se révèle moins calme que prévu. Les deux bataillons qui composent le 39e RIT à ce moment montent en ligne dans le secteur de Badonviller le 11 février 1915. Les Allemands déclenchent une attaque sur Badonviller le 27 février. C’est justement la 5e compagnie de René Rivière qui est affecté à la défense du village. Toutefois, ce sont les avant-postes tenus par les 6e et 7e compagnies qui s’illustrent à cette occasion.
- Un territorial au combat ?
La suite de son parcours n’est pas connue directement, cette photo carte étant isolée. Arrivé le 3 août 1914, il part probablement avec le régiment dans la zone des armées peu après. L’étape suivante sur sa fiche matricule nous apprend que le 20 août 1917 il passe au 81e RIT, comme 540 camarades de régiment. En effet, le 39e RIT étant dissous, ses hommes sont transférés soit vers le 82e soit vers le 81e RIT.
En janvier 1918, il change à nouveau d’affectation. Le JMO du 81e RIT explique : « envoi au Camp d’Instruction des classes 1899 et 1898 et plus jeunes. En conséquence, environ 400 hommes et 14 officiers quitteront le Régiment ». Étant de la classe 1898, René est donc concerné. Malgré ses 40 ans, il est toujours un des plus jeunes des territoriaux. Son affectation au 135e RI ne signifie pas envoi au front dans ce régiment. Le JMO du 81e RIT poursuit : « Les détachements de la classe 1898 partiront le 19 janvier […] à destination de Frenelle-la-Grande (9e bataillon du 135e RI) ». Ainsi, René se retrouve dans un bataillon d’instruction de la zone des armées en attendant son envoi dans une unité combattante.
Ni la fiche matricule ni le JMO du 335e RI n’indiquent une date d’arrivée de René dans ce régiment. On est sûr qu’il y est affecté car c’est dans cette unité qu’il décède le 22 août 1918. Aucune perte n’est signalée ce jour-là dans le JMO, mais la veille, un bombardement fait 12 morts, 39 blessés et 5 intoxiqués alors que l’unité n’est pas encore en ligne. Peut-être René est-il parmi ces victimes ?
- En guise de conclusion
De nombreuses questions restent en suspend : à qui s’adressait-il ? A-t-il eu des enfants avec Louise, son épouse depuis 1902 ? La probabilité de retrouver d’autres clichés pris lors du court séjour autour de Thiaville n’est pas nulle non plus, l’installation donnant l’impression d’avoir été préparée pour accueillir plusieurs groupes.
- Sources :
Archives départementales du Loir-et-Cher :
2 MILN R60 : Recensement de Cheverny, 1906, vue 384/399.
2 Mi 48/R61 : fiche matricule de René Rivière, classe 1898, matricule 1679 au bureau de recrutement de Blois, vue 884/1313.
http://archives.culture41.fr/ark:/57457/vta538487c3c0020/daogrp/0/884
Service Historique de la Défense (SHD) :
26 N 790/29 : JMO du 81e RIT
26 N 754/15 : JMO du 335e RI
26 N 396/4 : JMO de la 141e brigade d’infanterie
Anonyme, Historique du 39e Régiment d’Infanterie Territoriale, Blois, Imprimerie René Breton et Cie, sans date, 8 pages.
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