Faire de l’Histoire nous met dans une position particulière quand on lit ces courriers : celui d’êtres omniscients. On connaît la suite de l’histoire. À un siècle de distance, cette photo carte prend une signification particulière car on sait ce que sera cette année 1914. Mais au-delà du symbole, cette photographie est avant tout un moment de la vie de Marcel.
- Retour au 31e RI
Il y a un peu plus d’un an, j’ai travaillé sur une série de photographies disponibles sur Gallica. Je ne pensais pas que je croiserais aussi vite le chemin du 31e RI de Melun. Car ce sont bien de jeunes recrues de ce régiment qui posent. On voit nettement certaines pastilles métalliques sur les képis voire sur le col de la capote.
Je ne sais pas exactement où dans la caserne cette photographie a été prise. Probablement pas à proximité du mur qui ceinture la caserne si l’on se réfère à cette célèbre carte postale prise à Melun : il n’y a ni tuiles ni crépi ni trottoir.
Un autre détail est frappant : cette longue ligne droite dans la chaussée pavée. Ne serait-ce pas un rail de tramway ? Il y en avait un à Melun et il avait son terminus aux casernes. Or on trouve une information importante sur la fiche Wikipédia consacrée aux tramways de Melun : les rails étaient à gorge (ce qui n’est pas le cas ici) mais que « Le terminus des Casernes était équipé de rails type Vignole » (donc simples). Toutefois, je n’ai trouvé aucune vue sur le site des AD77 montrant un pavage devant les murs des casernes, à moins qu’ils ne soient recouverts par de la terre ou de la poussière.
Les uniformes impeccables, pas la moindre trace de boue liée à une marche, mais des fusils en faisceau pourraient faire penser à une attente avant une marche ou des exercices.
On ne connaît donc ni la localisation de cette photographie ni les circonstances de sa prise, par contre ce qui ne fait pas de doute, c’est l’appartenance de ces hommes à la classe 1913 (en tout cas pour Marcel au moins) car c’est inscrit sur la photographie. En regardant de plus près, c’est même gratté dans l’image et non écrit !
Un gros plan montre qu’il fit d’abord le contour à la pointe avant d’enlever une couche, sans revenir sur les parties n’atteignant pas le trait à la pointe.
Tous n’appartiennent probablement pas à la classe 1913 : certains visages font plus jeune que d’autres. À l’époque, les classes 1911, 1912 et 1913 sont à la caserne.
C’est donc une toute jeune recrue de 20 ans qui écrit.
- Meilleurs vœux pour… 1914
« Chers cousins, chères cousines
J’ai reçu votre carte qui ma fait plaisir d’apprendre de vos nouvelles. Tant qua moi je ne me fait pas trop de bile parce que pour deux ans je ne fait que mon petit boulo. Aujourd’hui je viens vous faire part de mes souhaits pour l’année 1914 et toute la famille se joint à moi pour vous faire part des leurs.
Votre petit cousin qui vous serre la main.
Marcel »
Son « petit boulo », c’est évidemment son service actif à l’armée. Que deux ans ? L’affirmation n’est pas totalement fausse même si elle est erronée : il quittera la caserne en théorie en octobre 1916, donc dans deux ans et quelques mois supplémentaires !
Impossible de dire qui est ce « Marcel » vu qu’il n’a pas fait la petite croix sur la photographie, ni même d’espérer savoir ce qu’il est devenu car il y a peu de chance qu’il n’ait pas été parmi les soldats de l’active envoyé début août vers le nord-est.
En fait, ce sont bien les vœux pour l’année 1914 qui prennent une portée symbolique forte a posteriori : pas d’inquiétudes dans les mots de Marcel, il y a bien des tensions avec l’Allemagne, mais d’ici à imaginer qu’il y aura une guerre dans quelques mois. C’est dire aussi le choc que fut la mobilisation puis l’entrée en guerre.
L’intérêt de la photographie est aussi cette galerie de portraits toujours aussi riche en attitudes différentes.
Galerie de portraits qui n’est jamais sans nous faire nous interroger sur certains détails : qu’est-ce qui était visible sur ce papier que tenait ce soldat avec sa pipe ? Un signe pour le photographe ? Une permission ?
- En guise de conclusion
Les cartes de vœux étaient déjà une tradition au début du XXe siècle et ces messages prennent une signification particulière quand il s’agit des vœux pour l’année 1914. Il n’en reste pas moins que ces vœux, comme les photographies, sont des instantanés et ne nous disent que ce qui est inscrit, sans préjuger d’un avenir qui n’est pas écrit au moment où l’image et les mots se figent sur le papier.
- Sources :
Article sur le tramway de Melun sur le site Wikipédia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Tramway_de_Melun consulté le 27/12/2013.
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