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43 – Buffe, 103e RI, Orne, 1915

À l’occasion de la publication des actes du colloque des 4 et 5 octobre 2014 sur le Perche de 1914 à 1918 auquel j’ai eu le plaisir de participer, voici un petit article sur un sujet annexe à celui que j’avais abordé alors : le dépôt du 103e RI au cours de la première année de guerre.

Le rôle des dépôts est méconnu. Il s’agissait pourtant d’un rouage indispensable dans l’organisation de l’armée française pendant la guerre. Alors que dire du rôle du vaguemestre dans une antenne du dépôt d’Alençon dans l’Orne ? Une carte postale et surtout une source permettent de mettre cet aspect, oh ! combien anecdotique, en lumière.

  • Le dépôt de Buffe :

Le dépôt des évacués de Buffe est mis en place en avril 1915. Il s’agit de désengorger Alençon dont les capacités d’accueil sont particulièrement sollicitées au point de devoir multiplier les cantonnements, y compris dans les écoles et chez des particuliers. En effet, le dépôt du 103e RI n’est pas la seule structure de la ville nécessitant des capacités d’hébergement importantes. On compte aussi plusieurs hôpitaux et le dépôt du 14e régiment de Hussards.

Même les casernes existantes ne suffisent pas. Voici la structure du dépôt à la création de l’annexe de Buffe.

C’est donc la 31e compagnie du dépôt qui hérite de ce cantonnement situé à plusieurs kilomètres d’Alençon, mais juste à côté du champ de tir du Radon et d’espaces de manœuvres. Buffe est un hameau qui comptait au recensement de 1911 deux maisons et neuf résidents. Nous verrons pourquoi c’est lui qui fut choisi et non le chef-lieu de la commune, Colombiers (45 habitants en 1911). Buffe avait déjà accueilli une partie de la classe 1915 au cours du mois d’avril 1915.

Ce dépôt est destiné à accueillir les hommes affectés à la 31e compagnie du dépôt d’Alençon. Il s’agit des hommes revenant du front, suite à une évacuation de la zone des armées ou d’une formation sanitaire. Tous ont comme point commun d’être déjà allés au front et en attente d’être reconnus aptes pour y retourner, mais en passant auparavant par une période d’instruction. On peut résumer le parcours théorique de ces évacués ainsi :

  • Une série de cartes postales de Buffe :

Cette carte postale met en évidence le pourquoi du choix de ce lieu. Il s’agit d’un haras qui dispose d’écuries, qui deviennent autant de lieux pour que la compagnie cantonne, et d’une source d’eau. D’autant qu’au 19 juin 1915, cette annexe est composée de 552 soldats. Une autre explication probable est que l’administration militaire connaissait ce lieu. En effet, l’Orne est un secteur de remonte important : il n’est pas impossible que ce haras ait déjà été en relation avec l’armée.

Sur ce gros plan de la partie gauche de la carte postale, on aperçoit (on ne peut pas dire « voir » tant la qualité de l’image est médiocre) deux fois deux hommes devant un box. Reste à savoir si la photographie a été prise au moment du conflit ou antérieurement. Dans le premier cas, ce serait la preuve que les soldats ont pris la place des chevaux alors que dans le second cas ce ne serait que des palefreniers en train de nettoyer les stalles ou de s’occuper des chevaux.

Cette carte postale n’est pas la seule a avoir été mise en vente montrant des soldats du dépôt de Buffe, mais je n’ai pas réussi à me procurer un exemplaire des autres. Je n’ai à ma disposition qu’une capture d’écran qui montre des soldats et qui semble confirmer la première hypothèse, à savoir des clichés pris pendant la guerre.

Cette série dut être réalisée très rapidement après l’installation de cette antenne du dépôt puisque j’en ai trouvé un exemplaire daté de 1915. Qui plus est la légende « Guerre 1914-15 » indique, dans  une forme très courante à l’époque, que l’impression date de 1915.

  • Une carte postale largement utilisée par les hommes du dépôt !

Afin de poursuivre cette petite recherche, je dispose de trois exemplaires de la carte postale présentée au début. Ces trois cartes postales sont indépendantes. Elles ont été achetées de manière isolée, mais toutes permettent d’aborder un aspect de la vie et de l’organisation du dépôt de Buffe.

    Dans la première, l’auteur de la carte indique au destinataire son lieu de cantonnement qui semble être une grange.

Inutile d’essayer de savoir qui est l’homme qui a écrit : aucune indication précise ne permet de lancer une recherche. Tout au plus peut-on s’interroger sur l’année où il est passé par Buffe. 1915 est à exclure puisqu’il date sa carte de janvier. 1916 ou 1917 sont possibles comme nous allons le voir avec une autre carte postale, mais impossible de le déterminer dans le cas présent.

La carte postale a voyagé dans une enveloppe, ce qui explique à la fois l’absence d’adresse et de marques postales. Ces éléments auraient pourtant été des indices précieux.

Cette carte a pu transiter par les mains du sergent Senélier, qui a été désigné vaguemestre du détachement de Buffe le 6 mai 1915. Peut-être est-ce même lui qui a apposé un cachet sur l’enveloppe qui devait contenir ladite carte, s’il n’a pas été affecté ailleurs entre temps. C’était une formalité obligatoire pour que le destinataire n’ait pas à payer de taxe en raison de l’absence d’affranchissement (les militaires bénéficiant d’une franchise postale dispensant de mettre un timbre évoquée ICI).

Une seule certitude : le soldat qui écrit n’était pas à la 31e compagnie. Elle a été dissoute le 28 septembre 1915, remplacée par la 26e compagnie. Il s’agissait en fait d’un changement de nom, la structure et l’encadrement restant identiques à Buffe. Par contre, la 26e compagnie fut rejointe à cette occasion par la 28e, la 26e accueillant les hommes les plus aptes et la 28e ceux qui l’étaient le moins.

Les changements étaient fréquents dans l’organisation interne des dépôts et rien n’empêche de penser que le rôle de Buffe changea encore en 1916.

    La seconde carte postale a, évidemment, le même recto, mais sans annotation. Je ne reviens pas dessus. Par contre, son verso est riche malgré le peu d’éléments notés et leur faible lisibilité.

C’est d’abord le tampon de franchise militaire qui attire l’attention. Il était apposé par le vaguemestre et n’était pas visible sur la première carte postale car elle avait été envoyée sous enveloppe.

Le second élément intéressant est la date. Le 29 septembre, hélas d’une année illisible sur les deux cachets postaux. Or, c’est une information très importante ici : peut-être s’agit-il de l’année 1915, donc juste au moment du changement de compagnie affecté à Buffe dont j’ai parlé dans l’étude de la première carte. Un élément me fait penser que cette hypothèse est plausible : tout en haut de la carte, de manière pratiquement invisible, on trouve :

« Sergent Louis 28 C

Buffe […]

par Damigny

Orne »

Comme je l’ai indiqué, c’est à cette date que la 28e compagnie arrive à Buffe. Cela pourrait expliquer la précision du courrier « passant par Damigny ». Cette précision est à relier à une décision du 6 mai 1915 dans les décisions du dépôt : « les hommes sont invités à faire diriger leur correspondance sur la poste de Damigny dont le service est régulièrement assuré. »

Pourquoi mettre cette indication si ce n’est pour préciser un élément important et nouveau ? Avec ce bémol toutefois : j’espère qu’en lisant ces mots, je ne suis pas victime de paréidolie !

Un dernier élément, hors sujet, est intrigant, mais je n’ai pu trouver de piste pour l’instant : les destinataires sont « Mesdemoiselles Lily et Violette Inkey de Pallon ». Je n’ai trouvé strictement aucune référence à une telle famille en France à cette période.

    La troisième carte postale a une histoire différente. Achetée par un soldat cantonné à Buffe, elle n’est utilisée par lui qu’au moment de son retour à Alençon. Il vient d’être reconnu apte et s’apprête à rejoindre le front. Toutefois, son affectation à la 14e compagnie du dépôt nous apprend qu’il s’agit d’un territorial. Ce fait est confirmé par l’indication du 31e Territorial.

« Envoi de L. Quillay 31e Territorial (en partance pour Verdun)

Alençon le 6 Février 1916

Mon cher Gabriel

Je suis revenu ici à la 14e hier soir je suis habillé et équipé de nouveau en neuf nous devons partir demain soir pour la Meuse ça sera peut-être plus drôle que la 1ère fois en tout cas je ne m’en fait pas plus que l’autre fois. Suzanne et la veuve [?] Lenois se portent bien à Neuilly on commence à reprendre la vie normal enfin chacun san sort. Vital m’à écris avant hier dater du 30-12-15 ça ne vas pas vite. Je t’enverrai le numéro de ma Cie et de mon secteur dès que je pourrai. Cordiale poignée de mains.
L. Quillay
 »

Les actes du dépôt du 5 janvier 1916 indiquent :

« 10. Renfort. – Un renfort destiné au 31e territorial (…) sera mis en route le 6 courant par le train de 22h20 ».

Il comprend, outre un renfort en provenance du 31e territorial et du 19e BCP, un groupe de 30 soldats du 31e territorial. C’est à ce groupe qu’appartient L. Quillay.

La mention de Verdun en février 1916 ne doit pas être surinterprétée : s’il est envoyé là-bas, c’est parce que le 31e RIT tient un secteur calme à l’Est de Verdun, dans la plaine de la Woëvre. Aucun préparatif lié à la prochaine bataille de Verdun. Il y a fort à parier toutefois pour que ce second séjour n’ait pas été aussi calme que le premier, contrairement à ce qu’il espérait. Quoi qu’il en soit, malgré l’absence de la fiche matricule de cet homme qui a été cherchée mais non trouvée, on sait qu’il ne fit pas partie des tués du régiment.

  • En complément : Buffe aujourd’hui

Le lieu-dit existe toujours, mais, comme à l’époque, on le trouve avec l’orthographe « Buff ». Il est toujours occupé par un haras, de grande renommée comme au début du siècle.

Le site du haras a mis en ligne une vidéo qui permet de constater que les longs bâtiments qui accueillaient les soldats de 1915 à au moins 1917 sont toujours là, même si certains semblent avoir disparus.

Accès au site du haras de Buffe : http://harasdubuff.com/

  • En guise de conclusion

Les ressources disponibles dans les services d’archives ne sont pas les seules à exploiter. Pour travailler sur cette période, les archives privées sont une source souvent extraordinaire de documents. Cela va de la carte postale qui illustre ou qui donne une information, à un document majeur transmis dans la famille depuis cette époque.

L’idéal est bien sûr de pouvoir conjuguer tous les types de sources sur un sujet. Mais les tris effectués, la distance ou d’autres raisons font que c’est parfois difficile pour un chercheur amateur.

  • Sources :

Recensement de 1911 de la commune de Colombier, Archives départementales de l’Orne, 3NUMLN111/M1471_34.

Anonyme, 31e régiment territorial d’infanterie, historique 1914-1918, Saint-Cloud, Imprimerie A. Félix, sd.

Pour se procurer les actes du colloque :

http://www.amisduperche.fr/boutique-2/le-perche-de-1914-a-1918-ouvrage-collectif/


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