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38 – Nogent-le-Rotrou, 10 août 1914

Une fois de plus, ce qui est intéressant ici, ce n’est pas la partie photographie de cette carte postale, malgré son thème militaire (la caserne de Nogent-le-Rotrou). C’est dans la partie correspondance que réside tout l’intérêt de ce document. Elle montre une étape importante après la mobilisation, avant la découverte de la réalité sanglante de ce qu’est la guerre : les hommes sont à leur affectation, certains partent vers la frontière, d’autres restent.

  • Une correspondance courte mais riche

Bien que montrant la caserne de Nogent-le-Rotrou, la carte a été postée dans une commune proche, située également dans le Perche d’Eure-et-Loir, La Loupe. En voici la transcription, respectant l’orthographe originale.

« [recto] 10 août 1914.

[verso] Mon cher Louis,

Je regrette que tu ne reçoives pas mes lettres. Mr Touche est venu aujourd’hui et m’a dit que tu étais en bonne santé. Je reçois tes lettres régulièrement merci. Ici, il fait chaud notre blé sera fini de rentrer demain. Aimé a écrit ce matin, il part courageusement pour la Belgique. Lucien a écrit aussi, il est parti. Nous te souhaitons bonne santé et à bientôt le plaisir de nous revoir. Nous t’embrassons.

Jacques aussi Léontine.

Monsieur Louis Rogereau
Sergent réserviste territorial
29e territorial
4e compagnie à l’École Militaire
Paris
 »

Elle est d’abord riche par les informations factuelles données : le beau temps permet de terminer de rentrer le blé en ce chaud mois d’août 1914 dans le Perche. On constate que les hommes sont partis, à l’exception du Jacques qui écrit : est-il trop âgé ? Réformé ? Seule son identité nous permettrait de le savoir.

Ensuite, en lien avec le dernier point évoqué, ce texte donne l’espoir de trouver au moins une partie des protagonistes. On possède le nom et le prénom du destinataire, les prénoms de quatre autres personnes. On est conduit à se poser des questions : qui sont ces personnes, et plus précisément quels liens les unissent ? Sont-ils d’une même famille ? Sont-ils des connaissances ou des amis ?

L’utilisation du « tu » ne suffit pas à conclure quoi que ce soit à ce niveau. Il faut trouver des liens clairs et, dans notre cas, documentés.

  • Retrouver les personnes

Retrouver le sergent Rogereau est la piste principale pour essayer d’en savoir plus. Un homme au 29e RIT de Dreux fait penser qu’il résidait dans la subdivision de Dreux. La consultation des fiches matricules de ce bureau de recrutement n’a rien donné. Résider en Eure-et-Loir ne veut pas dire y avoir son domicile depuis sa naissance. J’ai cherché dans l’ancienne Seine-et-Oise par l’intermédiaire des Archives départementales des Yvelines pour un résultat identique.

Pour le trouver, la technique de l’escargot, à savoir chercher dans les bureaux de recrutement autour de la zone de résidence est une solution mais elle a deux défauts : elle prend beaucoup de temps pour un résultat aléatoire. J’ai plutôt fait une recherche sur les patronymes. Par chance, « Rogereau » est rare et provient essentiellement de l’Orne. Or, l’Orne est très proche de l’ouest de l’Eure-et-Loir où se localise La Loupe.

Ainsi, Louis Alphonse Rogereau est bien né dans l’Orne, en 1878. Sergent au bout de deux ans de service actif, il a changé de domicile en 1912, choisissant Vaupillon, commune appartenant à la subdivision de Dreux dans laquelle il résidait depuis plusieurs années. Son affectation au 29e RIT est donc logique.

Retrouver les autres acteurs de cette correspondance est pour l’instant impossible par voie numérique. En effet, pour trouver qui sont Léontine et Jacques, il faudrait pouvoir consulter le recensement de 1911. Or il ne l’est qu’in situ, à Chartres. La seule source disponible, outre l’état civil, est la liste électorale. Mais si les personnes n’habitaient pas à La Loupe, si elles ont moins de 21 ans ou si elles n’y étaient pas inscrites, autant dire que c’est peine perdue. D’ailleurs, il sera impossible d’avoir des certitudes si ces personnes n’ont aucun lien de parenté. J’ai tout de même tenté l’expérience. Voici le résultat :

Un seul « Jacques » dans la liste électorale de 1914 :

BOUSSARD Eugène Louis JacquesMai 1866, Bretoncelles. JournalierInstallé à Meaucé (28) en 1891. Pas à Meaucé au recensement de 1901.

N’ayant pas retrouvé sa trace dans les archives disponibles pour l’instant, impossible de dire s’il y a un lien avec une Léontine, s’il a eu des enfants.

Pour « Lucien », comme pour « Aimé », la liste est plus conséquente :

FOUCHER Henri Lucien EugèneJanvier 1867, La Loupe DomestiqueFiche matricule non trouvée
FRET Louis LucienJanvier 1867, La LoupeService auxiliaire, réformé 11/1914.
GIBIERGE Léon LucienAoût 1888, Champrond-en-GâtineMobilisé le 03/08/1914, sergent, parti probablement en septembre en renfort. MPF.
JOUVE Antoine LucienOctobre 1892, La Loupe SoldatEngagé volontaire, Maroc jusqu’en 07/1914. Pas de date précise d’arrivée dans la zone des armées.
LANGLOIS Charlemagne Louis LucienJanvier 1887, La LoupeFiche matricule non trouvée.
MARTIN Lucien RobertJanvier 1888, Thimert JournalierFiche matricule non trouvée
ROGER Lucien PaulJuin 1887, La Loupe.Arrivé au corps le 15 janvier 1915. Service auxiliaire maintenu en novembre 1914.

J’ai également fait la recherche pour « Aimé » mais en l’absence d’éléments précis, à la base, sur qui est « Jacques », comment avoir la moindre certitude sur les deux autres prénoms cités ? Je laisse donc la question en suspens pour me recentrer sur celui dont on connaît le nom : Louis Rogereau.

  • Un homme au front ?

Mobilisé au 29e RIT, le sergent Rogereau est affecté à la 4e compagnie du 1er bataillon. Ce régiment est envoyé depuis Dreux vers le camp retranché de Paris. Du 7 août jusqu’au mois de novembre, Louis Rogereau et les 3e et 4e compagnies occupent l’École Militaire (quand les deux autres compagnies du bataillon sont à la caserne Latour Maubourg, près des Invalides). L’adresse inscrite sur la carte postale est donc correcte et montre que Louis l’envoya très vite à Jacques.

Le 1er bataillon relève à partir de novembre le 3e bataillon chargé de l’occupation des forts de la rive gauche de la Seine, la 4e compagnie cantonnant dans celui de Charenton.

De la bataille de la Marne, ils n’ont vu que l’effervescence et entendu le bruit du canon, comme les Parisiens. Ce n’est pas la guerre de tous les mobilisés que vivent ces territoriaux. On est loin des terribles combats menés par d’autres régiments territoriaux dans le Nord au même moment. Cette situation n’est pas unique bien sûr (voir cette analyse de la photographie de soldats du 32e RIT à la même période).

La fiche matricule indique son passage dans la zone des Armées en janvier 1915. Pourtant, son bataillon ne quitte Paris qu’en juin. Il s’agit tout simplement de la conséquence d’une modification de la carte de la zone des Armées. Louis quitte définitivement la zone des Armées le 15 septembre 1915 désormais affecté au 14e Escadron du Train des Équipages Militaires. Du 14e ETEM, il passe au 20e en juin 1916, après remise volontaire de ses galons. Affecté un mois au dépôt du service automobile en avril 1917, il termine le conflit au 20e ETEM, sans qu’il soit possible d’en dire plus. Il est démobilisé en février 1919.

Après-guerre, il fit une demande de carte de combattant, mais ses états de service ne lui permirent pas de l’obtenir : son affectation à Paris, même considérée comme dans la zone des Armées ne constitua pas un argument, son unité n’étant pas réellement combattante, tout comme les ETEM où il fut affecté à partir de septembre 1915. Seule une partie de son passage du 6 juin au 14 septembre 1915 dut être prise en compte, ce qui se révéla insuffisant en terme de durée. Le 1er bataillon du 29e RIT se retrouva pendant cette période dans un des secteurs les plus dangereux du front, à Vauquois. Certaines compagnies durent même tenir ponctuellement les tranchées de 2e ligne, et toutes furent chargées quotidiennement de ravitailler et travailler autour et sur la butte.

Le JMO du 1er bataillon indique toutefois que très rapidement une partie des hommes fut touchée par une épidémie de dysenterie (plus de 150 malades se présentant quotidiennement à la visite moins d’une semaine après l’arrivée dans le camp) qui dura au moins jusqu’au mois de juillet. Une nouvelle épidémie se déclara en août. Serait-ce la raison du refus de sa carte de combattant ? En effet, il a pu être évacué dans la zone des Armées, ce qui expliquerait qu’il n’ait pas le temps nécessaire pour obtenir la carte (justifier de 90 jours dans une unité combattante, alors que la période 6 juin au 14 septembre 1915 en représente plus de 100) mais aussi son affectation dans une nouvelle unité. Hélas, les informations de la fiche matricule ne sont pas assez précises pour en avoir la certitude. Toutefois, si les dossiers de demande de cartes d’anciens combattants sont souvent réduits à deux lettres gardées comme échantillons (les fameuses B et T), peut être le dossier de refus est-il conservé comme j’ai pu le constater dans certains départements voisins ? Lueur d’espoir d’en savoir plus et, qui sait, un portrait.

  • En guise de conclusion

L’étude de la correspondance n’a pas permis pour l’instant de découvrir qui étaient les personnes qui écrivirent à ce soldat. Par contre, la recherche sur le destinataire nous a montré, une fois de plus, la variété des parcours qu’il s’agisse des individus ou des unités. Les 26e, 27e, 28e RIT n’eurent pas la chance du 29e et furent étrillés dans le Nord pendant que ce dernier montait la garde dans les forts de Paris.

Dans l’attente de la consultation de certaines sources, le dossier n’est pas classé. Donc, à suivre…

  • Sources :

Fiche matricule de Louis Rogereau, Archives départementales de l’Orne, matricule 991 au bureau de recrutement d’Alençon, classe 1898, volume 2, R1112, vue 816/862.

Liste électorale de la commune de La Loupe, 1914. Archives départementales d’Eure-et-Loir, 3 M 36.

JMO du 3e bataillon du 29e RIT, SHD 26 N 779/13.

JMO du 1er bataillon du 29e RIT, SHD 26 N 779/16.

JMO du 29e RIT, SHD 26 N 779/22.


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