Aussi précises les indications de la photographie soient-elles, il n’est pas toujours possible de développer autant qu’on le pourrait la recherche, faute de sources. Cette photographie en est, hélas, un très bon exemple.
- On sait tout sur l’unité
Et pour cause, l’ardoise est on ne peut plus complète. Remis dans l’ordre voilà ce que l’on apprend : 12e Train, 3e compagnie, 1ère section, Campagne 1914 ».
Onze hommes posent sous l’œil amusé d’au moins deux autres soldats visibles à la fenêtre (pour l’un, on ne distingue que sa main sur l’épaule de son camarade).
Ils appartiennent à la 1ère section de la 3e compagnie du 12e ETEM. Il n’est pas possible d’être plus précis dans le cas d’une telle unité, tout y est : section, compagnie, escadron. Quand on ne possède que la mention de l’escadron, il est bien difficile de dire quoi que ce soit car le suivi se fait au niveau de la compagnie.
Un Escadron du Train des Equipages Militaires est une unité chargée de la logistique et des transports militaires. Il existe 20 ETEM, un par région militaire en métropole. Dans chaque escadron, chaque compagnie a une spécialisation, ce qui rend très utile sa mention sur le panneau.
L’uniforme, logiquement, est celui des soldats affectés à un ETEM : numéro de col blanc, jambières, culotte dont on voit distinctement le passepoil sur l’homme de gauche. Quelques-uns portent le bourgeron, signe que la photographie a dû être prise dans le lieu de cantonnement de cette section. Les autres sont en tenue de campagne. Ils n’ont pas de capote mais ils portent la veste « ras-cul » sans ceinture.
Alors pourquoi écrire en introduction que bien qu’ayant toutes les informations nécessaires, il est impossible d’en dire plus, ce qui est assez contradictoire ?
- La 3e compagnie du 12e ETEM
Voilà ce qui est noté dans l’historique du 12e ETEM pour sa 3e compagnie, page 7 :
3e compagnie
Affectée à la boulangerie de campagne du 12e corps d’armée. Embarquement à Limoges, le 8 août 1914 ; débarquement à Troyes, le 9.
Le 5 septembre 1914, elle est dirigée sur Fourchambault (Nièvre) ; le 2 novembre, sur Melun (…).
C’est tout pour 1914 ; pas un mot de plus ; aucun nom parmi les pertes et parmi les citations.
Le JMO n’est pas plus explicite vu qu’il n’existe pas. Alors que le parcours d’autres compagnies est nettement plus développé ou connu par un JMO assez fourni, là, rien. Il faut dire que l’historique est assez clair : malgré l’allure martiale de ces hommes, la présence de leurs mousquetons en faisceaux, ils n’étaient pas vraiment dans une zone dangereuse. Troyes dans un premier temps, Fourchambault dans un deuxième temps avant de passer la fin de l’année 1914 à Melun.
Il n’est pas impossible que certains de ces hommes aient été affectés par la suite dans une unité d’infanterie, remplacés par des hommes plus âgés ou du service auxiliaire, mais en l’absence de noms, impossible de simplement vérifier cette hypothèse.
- La 3e compagnie d’un ETEM
L’occasion est trop belle pour ne pas tenter, face à une photographie qui ne nous dira pas grand-chose de plus que ce que l’on peut observer, d’en savoir plus sur l’unité en question. Une fois encore, il s’agit de découvrir un corps peu connu dont le rôle était pourtant essentiel, mais nettement moins glorieux que les combattants de l’avant.
Des localisations assez éloignées du front s’expliquent par l’affectation de la 3e compagnie : la boulangerie de campagne du 12e corps d’armée. Ce service n’a pas vocation à être à proximité immédiate du front. Toutes les 3e compagnies des ETEM furent systématiquement affectées à la B.O.A (la Boulangerie d’Armée). Dans le JMO de la 3e compagnie du 4e ETEM, il est fait mention des activités quotidiennes des sections : transport de farine, de bois et du pain. Le JMO de la 3e compagnie du 7e ETEM précise que la compagnie est composée de 4 sections et que le transport du pain est assuré… jusqu’à la gare.
C’est le JMO de la 3e compagnie du 10e ETEM qui se révèle le plus intéressant pour l’étude de la photographie, malgré sa taille réduite (3 pages ! ). En effet, il donne la composition de la compagnie lors de sa mise en place en août 1914, et il est probable que la structure de la 3e compagnie du 12e ETEM ait été au moins proche.
Cette compagnie se composait de 348 hommes, dont 7 officiers conduisant 184 voitures (effectifs strictement identiques à la 3e compagnie du 15e ETEM). La compagnie était divisée en deux échelons :
Boulangerie de campagne | Convoi de la boulangerie | ||||
Hommes | Chevaux | Voitures | Hommes | Chevaux | Voitures |
195 | 242 | 84 | 146 | 227 | 100 |
Les effectifs sont les mêmes dans tous les ETEM. S’il est noté pour 3e compagnie du 11e ETEM, qu’elle n’a que 148 hommes, 223 chevaux et 100 voitures une fois arrivée à Reims, c’est qu’il ne s’agit que de la partie « Convoi ». Ce JMO indique l’adresse des cantonnements, 48 rue de la Justice et 2 rue des Fossés. Si seulement tous les JMO avaient été aussi précis !
Cette présence dans une zone peu menacée, on l’observe dans l’image avec la présence d’une jeune fille, peut-être l’enfant du lieu où ces hommes sont cantonnés. Peut-être s’agit-il d’ailleurs de la maison devant laquelle ils posent.
Une fois encore, l’absence de sources précises empêche d’essayer de déterminer où la photographie fut prise. Sans information sur la période, impossible de dire si c’est à Limoges avant le départ, à Troyes, à Fourchambault ou à Melun. Toutefois, les feuilles au sol, l’absence de fleurs fait penser qu’elle a pu être prise à l’automne 1914, ce qui éliminerait Limoges et Troyes.
Même le JMO du 12e corps d’armée ne nous est d’aucune utilité ici : il n’indique jamais la position de la boulangerie de campagne, sans parler des sections qui la composent.
- Quelques détails
J’ai déjà évoqué le fait que les armes sont des mousquetons. Je ne m’attarderai pas sur les uniformes, typiques du début de la guerre, ni des jambières qu’ont ces hommes travaillant avec des chevaux.
Concernant l’âge de ces hommes qui posent avec sérieux, ils appartiennent très probablement aux nombreux réservistes appelés à la mobilisation. En effet, la structure est composée d’un petit noyau d’hommes de l’armée d’active (le JMO de la 3e compagnie du 15e ETEM donne une proportion : active 28 hommes, réserve 313, soit plus de 90%).
Un soldat, peut-être plus facétieux que les autres, il a dessiné à la craie une médaille sur sa poitrine.
En outre, deux hommes tiennent un objet à la main : il s’agit selon toute vraisemblance, d’un fouet, rappelant leur fonction.
- En guise de conclusion
Ce n’est pas la mention « Jacques » et « Souvenir de la campagne de 1914 » au dos de la photographie qui vont nous aider à en savoir plus.
Il est toujours frustrant quand on a tant d’informations, de ne pouvoir en dire plus. Il manque une date, même un simple mois, et surtout des sources pour faire parler cette image. Parfois, nous n’avons aucun élément, parfois on a ceux que nous attendons mais pas les moyens d’en savoir plus. Reste à ne pas négliger un document qui nous permet malgré tout de découvrir un aspect du conflit.
- Sources
Anonyme, Campagne 1914-1919, 12e Escadron du Train des Equipages Militaires, Historique du corps. Editions Henri Charles-Lavauzelle, Paris 1920, 26 pages. Accès direct à l’historique sur Gallica.
Bulletin officiel du ministère de la guerre. Édition méthodique. Subsistances militaires. Boulangeries roulantes de campagne. Volume arrêté à la date du 10 août 1909. Paris, Librairie militaire R. Chapelot et Cie, 1910, 83 pages.
Accès direct au document sur Gallica.
Pas de JMO de la 3e compagnie du 12e ETEM.
JMO de la 3e compagnie du 4e ETEM, SHD 26 N 1329/6.
JMO de la 3e compagnie du 7e ETEM, SHD 26 N 1332/16.
JMO de la 3e compagnie du 10e ETEM, SHD 26 N 1336/7.
JMO de la 3e compagnie du 11e ETEM, SHD 26 N 1337/6.
JMO de la 3e compagnie du 15e ETEM, SHD 26 N 1340/2.
JMO du 12e Corps d’armée cité pour mémoire, SHD 26 N 1329/6.
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