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36 – 165e RI, Génicourt, 1914

À cette photo-carte ne manque que le nom du soldat qui l’a achetée. Nous avons toutes les informations nécessaires : un régiment, une date, un lieu. Pourtant, cette image est un bon exemple de la prudence avec laquelle on doit toujours prendre les informations disponibles. Les recoupements sont toujours indispensables, parfois implacables.

  • De l’apparence…

Au moins 46 hommes sont visibles sur cette photographie. Grâce aux chiffres dorés du képi du seul officier du groupe, on peut lire le numéro du régiment : il s’agit du 165e régiment d’infanterie de Verdun. Le numéro est aussi visible sur bon nombre d’hommes, ce qui ne laisse aucun doute sur l’identification de l’unité.

Ces hommes posent autour d’un sous-lieutenant ou d’un adjudant, d’un sergent-major, d’un sergent rengagé et de deux sergents. Le premier se distingue par le liseré au sommet de son képi, le second par le double galon doré, le troisième par le liseré à sa manche qui est la marque de son rengagement et les deux derniers par leurs vestes plus sombres que celles des soldats, leur galon doré qui se détache nettement sur leur bras et la jugulaire dorée de leur képi. Ces sergents n’ont qu’un képi de troupe quand les autres sous-officiers ont un képi d’achat personnel.

Que font-ils là, à proximité d’un bois, le long de ce chemin ? La présence des épées pour le sergent rengagé et le sergent-major ainsi que des tenues de sortie font penser à une cérémonie. 14 juillet ? Remise d’une décoration ? Défilé ? Les possibilités sont nombreuses mais le feuillage et le soleil haut écartent l’hypothèse de la cérémonie de présentation du drapeau aux nouvelles recrues qui se passe plus tôt dans l’année.

Peut-être la date et le lieu aideront-ils à trouver les circonstances de cette prise de vue.

  • à la réalité

« Génicourt, le 29 août 1914 »

Le texte est laconique mais il suffit à déduire beaucoup de choses de ce document.

Le 165e RI est un régiment d’infanterie dont trois bataillons sont casernés à Verdun et un bataillon à Montmédy. Or Génicourt est une commune de l’ancien département de Seine-et-Oise, bien loin de la Meuse. Premier problème.

Le 29 août 1914, le premier mois de guerre s’achève bientôt. Le 165e RI se trouve alors à proximité de Verdun, à Charny pour les 1er et 2e bataillons, à Belleville pour le 3e. Bien loin de Génicourt. Deuxième problème.

Peut-il s’agir d’hommes du dépôt du 165e RI ? Le dépôt du 165e RI est à Lille et sera très vite déplacé à Confolens… en Charente. Dans les deux cas, ce n’est pas Génicourt. Troisième problème.

En somme, cette photographie ne peut pas avoir été prise le 29 août 1914 à Génicourt. Un dernier détail nous montre d’ailleurs qu’elle n’a pas été prise pendant la guerre, mais avant : au moins deux hommes portent un pendentif servant à compter les jours avant la quille ; objet devenu totalement superflu avec l’entrée en guerre, la libération étant reportée à l’après victoire !

  • Comment expliquer les contradictions entre le texte et l’image ?

Plus qu’une contradiction, c’est un problème d’association entre le texte et l’image par le lecteur. Il ne s’agit pas d’un travail destiné à tromper l’acheteur comme le montre le prix demandé. En fait, le lieu et la date ne sont pas une légende de la photographie comme pourraient le laisser imaginer leur isolement et l’absence d’autre texte. Il s’agit simplement d’une correspondance restée inachevée. L’adresse est déjà inscrite, mais le texte n’est pas allé plus loin que cet en-tête. On ne saura jamais pourquoi. La photo-carte peut même ne pas avoir voyagé jusqu’à sa destination, Reims, dans la Marne.

Il faut se méfier des textes : sauf mention précise, ils peuvent avoir été rédigés quelques semaines voire de longs mois après le développement. Le cas ici est caricatural, la vue datant d’avant-guerre et la correspondance d’après la mobilisation. Il faut toujours recouper les sources, les indices, les informations et, en l’absence de ces documents, rester très prudent dans ses conclusions.

  • Dater l’image quand même ?

En l’absence de date et de lieu, cela paraît mission impossible. Pourtant, le fait qu’il s’agisse du 165e RI permet d’espérer que ce ne soit pas une aiguille dans une meule de foin. En effet, ce régiment est de création très récente : c’est la loi du 23 décembre 1912 qui l’institue. De ce fait, les occasions qu’ont eues les hommes de participer à des cérémonies nécessitant le port de la grande tenue ne sont pas si nombreuses. Ajoutez à cela la saison (autour de l’été) et les possibilités sont encore plus réduites.

Une recherche dans la presse verdunoise ne nous en apprend, hélas, guère plus. Le 165e RI est peu cité en 1913-1914 dans le Courrier de la Meuse, à part pour la prise d’arme solennelle pour la remise du drapeau le samedi 26 juillet 1913, très peu de mentions. Alors s’agit-il d’un cliché pris à l’occasion d’une revue ? D’une cérémonie ? Pour une toute autre raison ? Les questions demeurent, le mystère reste entier.

  • Un cliché qui fourmille de détails

Quand on a 46 hommes photographiés, il est rare que certains n’aient pas une pause originale. Avant de s’attarder aux hommes du groupe, on peut observer à l’arrière-plan que le regard d’autres hommes est attiré par ce qui se passe sur notre droite.

On note quelques signes amicaux : une poignée de main face au photographe et la classique main posée sur l’épaule.

Ce qui est le plus marquant, c’est le nombre inhabituellement élevé d’hommes sans moustaches. Il arrive que dans certains groupes, tous les hommes soient moustachus, la grande mode de l’époque. Mais là, plus d’une dizaine n’en ont pas, y compris un sergent, ce qui montre que dans ce régiment, l’absence de moustache n’était pas un frein ou un motif de punition.

  • En guise de conclusion (1, mars 2013)

Quand a-t-elle été prise ? À quelle occasion ? Pourquoi la lettre est-elle restée inachevée ? Autant de questions qui risquent de rester longtemps sans réponse. Dans une ville, une caserne, il est parfois possible de retrouver au moins le lieu. Ici, le paysage ne donne aucune indication, pas plus que le texte. Cela n’en fait pas pour autant un document à jeter, autant par la galerie de visages que par le simple fait que le 165e RI eut une existence très brève avant le conflit.

  • Génicourt-sur-Meuse !

J’ai présenté cette recherche en écrivant qu’il ne fallait pas « croire sur parole ce qui était écrit ». Force est de constater que ce sont les écrits de ces articles qu’il convient de lire avec prudence en gardant en tête qu’il s’agit souvent d’hypothèses, de déductions.

Par chance, un fin connaisseur de la Meuse a lu cet article et a vu l’erreur importante commise concernant la localisation de Génicourt. Dans son message, Joël Huret m’a simplement expliqué qu’il existe bien un Génicourt en Meuse, à quelques kilomètres au sud de Verdun, et que cette commune possédait un fort occupé par une compagnie du 165e RI ! Il faut donc totalement oublier toute la partie du texte précédent mis en rouge car il était basé sur une recherche incomplète et une déduction de ce fait fausse.

En effet, m’étant contenté d’une recherche dans un moteur de recherche, je n’ai pas vu cette commune meusienne, pourtant bien présente dans Géoportail et que j’ai traversé à plusieurs occasions

J’avais bien regardé le JMO du 165e RI, mais autour du 29 août 1914, alors qu’une lecture de toute l’année 1914 m’aurait montré que la 10e compagnie du 165e RI resta au fort ou à proximité au moins jusqu’en novembre.

Ces informations nous donnent donc une piste pour le lieu : autour du fort de Génicourt ou dans les nombreuses forêts voisines. Et ces informations rendent tout à fait crédible la date inscrite, des hommes étant au fort et probablement celui qui écrivit ce début de carte.

Toutefois, je continue de douter que la photographie ait été prise pendant le conflit, les hommes n’emportant pas leurs tenues de sortie au front. Printemps 1914 ? Juste au moment de la mobilisation ?

  • Une adresse à ne pas négliger

Monsieur Huret, outre le fait de me signaler que rien ne permet de distinguer sur l’image s’il s’agit d’un sous-lieutenant ou d’un adjudant, m’a fait remarquer dans son message que l’adresse pouvait aussi être une piste. Détail que j’avais négligé dans le cas présent et j’ai eu tort. En effet, on trouve la fiche « Mémoire des Hommes » d’un sergent Hausher du 165e RI mort des suites de ses blessures le 16 décembre 1914. Il est probable que le sergent Hausher fut blessé lors de l’attaque des Jumelles d’Ormes, au nord de Verdun, le 14 décembre.

En tout cas, l’acte de décès de cet homme a été enregistré à Reims, ville de destination de la lettre. Il n’a pas été possible de confirmer définitivement le lien de famille à l’aide de l’acte de naissance du sergent, la lettre ne portant pas de prénoms.

Alors que je pensais qu’il ne serait pas possible d’aller plus loin que la simple observation de l’image, cette photo-carte dispose désormais d’une hypothèse pour son lieu et même pour la personne qui l’aurait écrite. Cela ouvre la voie à d’autres questions : pourquoi cette carte ne fut-elle pas terminée ce 29 août 1914 ? Léon Hausher est-il l’un des sergents de la photographie ?

  • En guise de conclusion (2)

L’aide d’une personne connaissant les lieux a été déterminante pour corriger les erreurs. Les archives disponibles ne permettent pas toujours d’aller dans la bonne direction, mais les erreurs viennent quand même dans la majorité des cas de celui qui fait la recherche. Ce n’est pas, initialement, ce que je voulais démontrer ; ce sera pourtant la conclusion. La chance avec Internet est de permettre d’avoir des retours et la chance de faire parler correctement l’image en corrigeant ses erreurs.

  • Le recensement à Reims

Cette fois-ci c’est l’aide d’Armand qui apporte une pierre supplémentaire d’importance puisqu’elle relie l’adresse inscrite sur la carte avec le sergent Léon Hausher. Léon Hausher est bien le fils de la famille à qui est adressée la carte.

Reste à avoir une confirmation par sa fiche matricule. La description pourrait en plus aider à savoir s’il est l’un des deux sergents visibles.

  • Remerciements :

À Joël Huret qui a permis de corriger les erreurs de cette recherche et à Armand pour la piste du recensement de Reims.

  • Sources :

JMO du 165e RI, SHD GR 26 N 704/1.

État civil de la commune de Reims, naissances de 1891 tome 2, Archives départementales de la Marne, 2 E 534/311 vue 223/412.

Recensement 1911 de la ville de Reims, 2e canton, 1ère section, page 48.

Accès direct aux documents numérisés accessibles sur le site des Archives municipales de Reims.


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