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26e BCP, Saint-Maur-des-Fossés, novembre 1914

Thibaut Vallé a apporté sa contribution à ce site en faisant des recherches pour retrouver des informations sur certaines personnes présentes sur des photographies. Il a réussi à trouver des éléments ayant grandement amélioré ces articles. Et d’autres mises à jour sont en réserve.

Depuis, il a exploré une nouvelle approche : tout simplement faire la recherche complète autour d’une photographie. Voici le résultat de son premier travail. Et autant le dire, par sa qualité et le résultat obtenu, il a parfaitement sa place ici !

J’abandonne le clavier pour le laisser à Thibaut.

Le premier achat de carte ancienne est un moment particulier. Laquelle choisir parmi l’ensemble disponible ? Et oh ! surprise à la réception ! la carte est centenaire presque jour pour jour !

  • 35 hommes en manœuvres…

La photographie représente une section du 26ème BCP composée de 35 hommes dont deux sergents et au moins trois caporaux reconnaissables à leurs marques de grade.
Le sergent de gauche a son galon bien visible quand celui de droite est reconnaissable au liseré doré sur son képi.

Les quatre caporaux :

Comme l’écrit l’auteur, ces hommes sont pris lors d’exercices en extérieur. L’arrière-plan, même s’il ne permet pas de reconnaître l’endroit exact de la prise de vue donne quelques indications de paysage : une rangée d’arbres rectiligne (route ? ), le toit d’une guérite.

On distingue aussi les képis des hommes attendant probablement leur tour pour le cliché suivant.

Cette photographie a probablement été prise au camp de Saint-Maur-des-Fossés où le 26ème BCP avait ses quartiers présents sur de nombreuses autres CPA. On distingue d’ailleurs sur plusieurs d’entre elles des guérites semblables à celle présente en arrière-plan.

La position couchée des soldats du premier rang laisse entrevoir leur havresac, en particulier la gamelle individuelle, la couverture et la toile de tente.

Certains visages ont l’air plus âgés, sont plus marqués. Il pourrait s’agir d’hommes de classes précédentes « récupérés »ou des chasseurs revenus au dépôt après une période de convalescence.

  • Un nom, un visage, un bavard…

Le soldat Mansuy est prolixe. Il a utilisé tout l’espace disponible au dos de sa carte pour faire passer ses messages à sa famille, à ses amis.

Vincennes le 28 Novembre 1914
Chers Parents, frère et Sœur

Je vous envoie ces quelques mots pour vous faire savoir que je suis toujours ici et que je vais très bien, j’espère que vous êtes toujours de même. J’ai écrit l’autre jour a Emile Tout de Rosières et j’ai reçu de leurs nouvelles, ils vont bien, si ce n’est Emile qui ne vâ pas trop fort. On nous a photographié cette semaine sur le terrain de manoeuvre et nous ne sommes pas trop bien réussi, le sergent qui est au dessus de moi est celui que je vous parlais l’autre jour Pizel de Pont-à-Mousson il s’est interressé beaucoup de moi et m’a rendu service il m’a appris bien des choses à part des autres, il est reparti au feu et j’aurais bien aimé partir avec lui, j’ai demandé mais c’est des anciens qu’on a fait partir à notre place, aujourd’hui on a demandé des volontaires pour renforcer le 3è Bataillon de chasseurs à pied qui est dans le Nord, beaucoup de la classe 14 se sont fait inscrire et vont y partir après demain mais moi j’aime mieux aller au 26è qui est du côté de chez nous dans l’Est. Je termine en vous embrassant tous de tout coeur. E. Mansuy – Le bonjour à tous les amis – a bientôt de vos nouvelles

L’écriture fine et assurée indique une certaine habitude de l’utilisation de la plume.
Le chasseur Mansuy écrit à ses parents, il date sa carte du 28 novembre qui s’avère être un samedi. La photographie a donc été prise entre le 23 et le 25 novembre car il a noté « On nous a photographié cette semaine ». Sinon il aurait sans doute dit hier ou avant-hier pour les 26 et 27 novembre.

Cette saison est discernable grâce aux arbres dégarnis en arrière-plan.

Le soldat Mansuy a pris soin de s’identifier en plaçant une croix au dessus de lui. Il fait de même pour le sergent dont il parle dans son texte. 

  • E. Mansuy

Retrouver qui il était, où cette photographie a été prise,  à la vue des indices qu’il a laissé, ce n’était pas vraiment compliqué.
Les lieux cités sont tous situés en Lorraine, au nord-ouest de Nancy, à la frontière entre la France et l’Empire allemand lors du déclenchement du conflit.

Joseph Edmond, matricule 1217, naît à Jézainville, en Meurthe-et-Moselle, canton de Pont-à-Mousson où est caserné le 26ème BCP. Fils de propriétaires, il est d’un milieu plutôt aisé, qui se ressent dans son écriture bien maîtrisée.
Il est incorporé au 26ème BCP en septembre 1914. Il est sur le départ lorsqu’il écrit sa carte, ce que confirme sa fiche qui indique qu’il part aux armées le 5 décembre 1914, toujours au 26ème BCP, comme il l’espérait. Il n’a pu suivre son sergent car la classe 1914 ne devait pas être jugée encore prête. Il aurait pu partir plus tôt car il signale que des volontaires sont réclamés pour le 3ème BCP. Le JMO de ce bataillon indique que celui-ci se reforme du 26 au 30 novembre après sa participation à la première bataille d’Ypres.

Son arrivée en compagnie de 299 autres jeunes chasseurs est mentionnée le 7 décembre dans le JMO du 26ème BCP.

Après plusieurs blessures et maladies, il est transféré au service auxiliaire en 1916.
Il participe à partir de juin 1916 en tant que maçon à la construction de la fonderie Lorraine en Seine-Maritime. La construction de cette usine a débuté en décembre et doit produire à partir d’avril 1916 des obus en fonte aciérés destinés au front.
Le chasseur Mansuy a subi de nombreuses séquelles physiques de son service lors du conflit: surdité, emphysème, sclérose pulmonaire.
Sa dernière adresse connue est mentionnée sur sa fiche à Pont-à-Mousson en 1932. L’avancée des numérisations lèvera et précisera les lieux où le chasseur Mansuy a fini ses jours.

  • Lucien Pizel

Le sergent Pizel mentionné par Edmond Mansuy dans sa carte se prénomme Lucien Fernand. Fils d’un cordier, il naît à Pont-à-Mousson le 12 octobre 1893, soit 1 an et 3 jours avant Edmond. Il s’engage volontairement dans les chasseurs le 23 octobre 1913 en tant que 2ème classe au 26ème BCP. Son ascension hiérarchique commence alors : caporal le 20 mars 1914, il est sergent le 31 juillet 1914. Blessé le 6 septembre 1914, il est évacué et rentre au dépôt le 17 octobre 1914. Il y rencontre le chasseur Mansuy, incorporé le 1er du même mois. Le sergent enseigne alors probablement à ce bleu les affres du front dont il rend compte dans sa carte.

Comme indiqué sur la carte, le sergent Pizel retourne aux armées le 26 novembre 1914.

Il est successivement promu adjudant puis adjudant-chef le 27 avril 1916.
Il est cité à l’ordre du régiment lorsqu’à la tête de la 4ème section, 5ème compagnie, il s’est porté « à l’attaque d’une position ennemie avec un élan admirable… ».

D’ailleurs ses citations (quatre au total, dont une à l’ordre de l’Armée) et sa Médaille militaire ne doivent pas être étrangères au fait qu’en avril 1918, il est probablement de la mission du lieutenant Le Moal aux États-Unis et au Canada afin de lever un emprunt pour l’effort de guerre (sa fiche matricule mentionne une mission aux États-Unis dont les dates coïncident avec celles de la mission Le Moal).

Le conflit achevé, Pizel est promu sous-lieutenant en 1923, puis lieutenant en 1931.
Il est fait Chevalier de la Légion d’honneur le 14 juillet 1933 après près de 20 ans de carrière militaire. À ce titre, il reçoit un traitement de 750 francs par an, ramené à 10 Nouveaux Francs en 1960.

Que de chemin parcouru depuis le camp de Saint-Maur !

  • Émile Tout

Voici le troisième nom dans le courrier. Les registres n’ont pas révélé pour le moment de fiche permettant l’identification d’Émile Tout. Néanmoins, il y a un individu né en 1867 à Rosières-en-Haye.
Autre éventualité peut-être plus probable, un dénommé Émile Tont (?) est présent sur la table du registre du bureau de recrutement de Metz pour la classe 1915. Il s’agit d’un engagé volontaire pour lequel la fiche n’a pas été retrouvée.


L’intégralité des registres n’étant pas accessible sur internet, il n’est pas possible de confirmer un lien avec Edmond Mansuy pour le moment.

  • En guise de conclusion

Au final la temporalité peut être affinée sans certitude concernant la date de prise de vue.

Deux individus identifiés, deux parcours. Un sergent convalescent prend sous son aile un bleu originaire d’un village proche de chez lui. Ont-ils combattu côte à côte au sein du bataillon ? Edmond a-t-il suivi les conseils du sergent ? Quand a été prise la photographie ? 100 ans après sa rédaction, même si cette carte a permis de mettre deux visages sur deux noms, il n’en reste pas moins  de nombreuses zones d’ombres. Et si ce n’était qu’un début ?

  • Addendum de janvier 2023

Les nouvelles mises à jour d’archives en ligne permettent d’identifier d’Émile TOUT. En 1911 il vit à Rosières-en-Hayes avec son épouse et ses trois enfants.


Fin 1914, comme le laisse entendre Edmond Mansuy, il est malade et décéde le 25 décembre.

  • Remerciements

Tout particulier et de tout cœur, mes sincères remerciements à M. Carobbi, pour ses conseils, ses éclairages toujours bienvenus, et sa patience indéfectible face à mes questions digne d’un 2ème classe de réserve !

Remerciements à Serge du Forum Pages 14-18 qui a trouvé les documents concernant la famille Tout en 1911 et le décès d’Émile.

  • Sources et compléments

Archives départementales de Meurthe-et-Moselle 2 E 462/4 Rosières-en-Haye, Acte de décès d’Émile Tout, vue 112/159

6 M 33/642 Rosières-en-Haye, recensement de 1911, vue 4/7

2 R 395 – Table recrutement de Metz, classe 1915, vue 25

2 R 376 – Fiche matricule E. Mansuy, vue 377

2 R 360 – Fiche Matricule L. Pizel, vue 467 et suivantes

Mention de son mariage en 1919 : http://www.culture.gouv.fr/LH/LH208/PG/FRDAFAN84_O19800035v1020217.htm

Dernière commune lors de son décès :

http://www.culture.gouv.fr/LH/LH208/PG/FRDAFAN84_O19800035v1020213.htm

JMO 26ème BCP : Mémoire des Hommes, SHD 26 N 825/11.

Historique du 26ème BCP.

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Image : collection T. Vallé. Réutilisation interdite sans l’autorisation du propriétaire.

Publication de la page : 2 janvier 2015. Dernière mise à jour : 10 janvier 2023.


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