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12 – 107e RI, Champagne, octobre 1914

Les photographies d’hommes en première ligne sont peu fréquentes dans la masse des clichés pris au cours du conflit. Il en existe bien sûr, dans les collections publiques, dans les séries de plaques de verre que l’on trouve encore en grand nombre aujourd’hui, dans des revues de l’époque. Mais ils posent plusieurs problèmes : images retouchées (dans la presse), légendes modifiées, clichés douteux. Et surtout, elles n’ont pas toujours un grand pouvoir évocateur pour celui qui les regarde. La rareté est encore plus grande en ce qui concerne le début du conflit. Les collections privées sont régulièrement la source de clichés spectaculaires, inédits. Spectaculaire par le pouvoir d’évocation de ce qu’était la vie au front et non pour un quelconque aspect macabre ou « guerrier ».
François-Xavier Bernard, dans son blog où il présente une image par jour sur le conflit, nous donne à voir la multitude de type d’images disponibles et a publié ce cliché le 9 février dernier :

Collection F.-X. Bernard.
  • « Bonne de guerre » ?

A première vue, il n’y a pas trop de doutes. Comme les coins le montrent, il s’agit d’un cliché extrait d’un album et les images sont légendées. Ici :

1914 – Les premières tranchées.
Au bois B
(En avant de Soum-Suippes)
Quelques jours avant l’attaque

Ajoutons que d’autres clichés indiquent que cet homme est du 107e régiment d’infanterie. « Soum-Suippes » désigne, phonétiquement, Somme-Suippes. Tout cela suffit à déterminer un contexte général pour cette prise de vue.

  • Champagne, automne / hiver 1914

Comme l’a déterminé François-Xavier Bernard, ce cliché a dû être pris en octobre 1914. En effet, le 2 octobre, le 107e RI (et toute la 46e brigade) arrive dans le secteur et tient un front qui va d’abord des carrières de Saint-Hilaire à la cote 127, tout juste au nord de l’Ain. Pour avoir une idée des positions tenues par le 107e RI, le JMO du 336e RI qui tenait le secteur une semaine auparavant donne quelques précisions dans un croquis :

C’est probablement de ces positions que le 107e RI part à l’assaut des lignes ennemies à l’est de la cote 147. C’est cette attaque qu’un texte toujours trouvé par François-Xavier Bernard illustre parfaitement et dont la source est sur ce site.

Le 12 octobre 1914, à 18h30, lorsque l’attaque prend fin, le JMO du 107e RI indique que les 2e et 3e bataillons tiennent une ligne Bois B – carrière nord de Saint-Hilaire pour 13 morts et 38 blessés. Mais quand on regarde une carte et le JMO de la 46e brigade d’infanterie, il s’agit du Bois B1 et non du Bois B qui est occupé grâce à cette attaque.

Cette erreur de nom de bois a-telle aussi été faite par l’auteur de la légende ? Ce qui n’arrange rien, c’est que ce Bois B est bien l’objet d’une attaque du 107e RI, à la fin du mois d’octobre 1914.

Elle a lieu le 30 octobre et a clairement pour objectif la prise du Bois B. 30 morts, 81 blessés, 1 disparu, une compagnie arrive à 100 mètres de la lisière sud du Bois B mais au final la ligne française avance de 20 mètres au nord du Bois B1, de 200 à l’Est et à l’Ouest.

La photographie a-t-elle été prise quelques jours avant cette attaque ? Ou bien faut-il encore la rendre plus tardive si on considère qu’elle a pu être saisie avant la troisième attaque du 107e RI dans ce secteur ?

Le 25 novembre, nouvelle attaque qui coûte 217 hommes au régiment, toujours contre les positions allemandes du bois B qui ont continué à s’étoffer. Les lignes vont ensuite rester stables, malgré une nouvelle attaque le 21 décembre 1914, jusqu’à l’offensive de septembre 1915. Le secteur du Bois B devient alors le Saillant B.

En l’absence de date précise, difficile de choisir entre les différentes attaques autour du Bois B en octobre et novembre 1914. La mention « Premières tranchées » permet d’éliminer l’attaque la plus tardive et se concentrer sur celles du mois d’octobre. Si on considère que celui qui a écrit est bien un homme qui savait ce qu’il en était, ce que les légendes des autres images montrées par François-Xavier Ber,nard laissent penser.
Peut-être ce qui est visible sur l’image permet-il de confirmer cette hypothèse ?

  • Ce que montre l’image

Avant de regarder les détails, observons l’impression à la vision de l’image : cinq hommes dans une tranchée (le cinquième est coupé, sur la gauche, dans la partie floue de l’image), prise à hauteur des visages. Nous ne sommes pas dans une tranchée profonde et organisée comme on peut le voir pour les périodes suivantes, mais bien devant un cliché pris au début de ce nouveau type de conflit, avec des fortifications de campagne sommaires pour les soldats français. Dans l’esprit de l’état major, il s’agit juste de prendre les précautions réglementaires avant de repartir le plus vite possible à l’assaut des positions allemandes pour les chasser du pays (comme l’assaut général autour de Souain le 12 octobre 1914).

Ces hommes semblent être dans des trous d’homme plutôt que debout dans une tranchée. Le monticule de terre devant eux a été réalisé avec la terre creusée. Ce monticule est appelé un masque et des rainures sont tracés afin de poser le fusil dans la direction de la menace et garder une ligne de vue sur ce qui se passe devant. Cela explique que seule une partie du fusil de l’homme au premier plan soit visible (en violet sur l’image). Le tout est parfaitement réglementaire.

Un détail nous montre que ces hommes ne sont pas de simples fantassins : on voit derrière l’homme au premier plan une mitrailleuse Saint-Étienne (en jaune). Ces hommes appartenaient peut-être à l’une des deux sections de mitrailleuses du régiment. Deux autres clichés, plus tardifs vont dans ce sens : leur légende mentionne une section de mitrailleurs. Il est dommage en tout cas que le JMO n’indique pas la position de ces pièces, cela nous aurait donné une localisation un peu plus précise, à défaut de nous aider vraiment à déterminer la date de l’image. Par contre, la présence de cette mitrailleuse permet de penser qu’il s’agit, au moins pour une partie des hommes visibles, d’une tranchée à genoux : dans un trou permettant aux hommes de se tenir debout, elle aurait été invisible. Ce type de tranchée plaide en faveur d’une date plutôt début octobre car le temps passant, les tranchées ont été améliorées, non dans leur confort, mais dans leur profondeur. Toutefois, certains ont peut-être creusé une tranchée pour tireur debout, un banquette de tir pouvant être aménagée pour se surélever pour tirer.

Sont-ils en position de réserve ? Sont-ils effectivement en première ligne ? Difficile au final de le déterminer. Mais cela n’enlève rien à la force évocatrice de l’image : des hommes dans la terre, observant dans la direction de l’ennemi. Une image prise ras la terre, avec des hommes qui ne posent pas, plus inquiets par ce qui se passe devant que par le fait de faire bonne figure sur un cliché. La terre mais aussi ce ciel gris sont un contraste avec ces cinq silhouettes humaines.

Il est possible de faire parler des éléments de l’uniforme (on voit nettement le couvre képi sur l’homme au premier plan) mais cela n’apporte finalement rien à l’impression qui se dégage de l’image. De même l’homme qui a une croix au-dessus de la tête a mis une pièce de tissu sur ses cheveux. Blessure ? Protection contre le froid qui est plus vif en cette saison ? De même, l’homme au premier plan, accoudé sur une paroi du trou a un objet devant lui dont il est bien difficile de deviner ce que c’est.

  • En guise de conclusion

Même s’il n’est pas possible à l’heure actuelle de déterminer avec précision la date de prise de la photographie, ce cliché n’en reste pas moins une illustration parlante de ces premières tranchées creusées au moment de l’arrêt progressif de la guerre de mouvements. Ce ne sont pas les premières tranchées à proprement parler : certaines ont été creusées dès la mise en place des troupes de couverture  le… 31 juillet 1914 ! Elle illustre cette période où l’état major français lançait ses régiments à l’assaut des positions allemandes alors que le visage de la guerre avait déjà changé. Les vaines attaques se multiplièrent au cours de l’automne et de l’hiver 1914 puis début 1915, allongeant la liste des pertes et faisant de cette période un nouveau moment sanglant de ce conflit.
Reste que voici une fois encore un cliché qui, au final aboutit à se dire : ah ! Si cette image pouvait parler, nous dire où ils étaient, quand, ce qu’ils voyaient, ce qu’il y avait à leurs côtés, combien de temps ils sont restés là…

  • En complément :

Localisée approximativement cette image permet aussi de se poser la question de qu’il reste de visible cent ans plus tard de ce secteur qui a été au cœur des combats et d’un vaste réseau de tranchées.
Sur le site de l’IGN, il est possible de suivre l’évolution d’un paysage grâce aux photographies aériennes mises à disposition du public depuis quelques mois.

Une photographie aérienne de Saint-Hilaire-le-Grand permet de constater qu’en 1929, les tranchées sont comblées pour l’essentiel (à l’exception notable des zones boisées) et les terres ont été remises en culture. Même si le secteur du Bois B n’apparaît pas sur les photographies de 1929, on imagine facilement qu’il en était de même vu sa proximité.

Le cliché de 1949 (source : IGN-2012) montre le secteur du Bois B : l’ancienne voie romaine est toujours utilisée comme chemin et comme séparation de parcelles. Le Bois B1 est là, tout comme une partie du Bois B semble-t-il. Les bois sont un atout pour la conservation des tranchées : les tranchées n’ont pas à être comblées, leur érosion est ralentie. Ce phénomène est nettement visible sur les photographies. Dans les champs, les lignes de tranchées n’apparaissent déjà plus que comme des marques de couleur différente.

Sur le cliché le plus récent de l’IGN, disponible sur le site Géoportail, on peut hélas constater qu’il ne reste pratiquement plus aucun bois dans ce secteur. Même l’ancienne voie romaine a disparu.

Ces modifications du paysage s’expliquent par le besoin de terres d’une agriculture devenue intensive en Champagne et par le remembrement. Les parcelles de petite taille ont été remplacées par de vastes surfaces d’openfields qui ne permettent plus de lire certains formes du paysage précédent. La voie romaine ne se voit plus que par un trait plus clair dans les cultures. Le tout a abouti à un effacement quasi complet des éventuels vestiges de ce secteur. Ils n’apparaissent plus que par des marques dans les cultures à certaines périodes de l’année et par vue aérienne, car au niveau du sol, retrouver les lieux des combats de la Première Guerre mondiale devient aussi difficile que de faire parler une photographie à la légende incomplète.

  • Remerciements :

A François-Xavier Bernard qui a permis l’existence de cette recherche en m’autorisant à utiliser ce document. Amateurs d’images de la Première Guerre mondiale, ne manquez pas son blog où il publie une image commentée par jour. Ni son site sur l’armée française en Italie.

  • Source :

JMO du 107e RI, SHD 26N677/14.


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