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11 – En avant la musique avec Marcel Fontaine au 150e RI (1)

Un peu de chance avec cette photographie imprimée sur carte postale : il y a une identité, un lieu, peut-être même une date. Rassurez-vous, ce n’est pas pour autant le document idéal permettant de répondre à toutes les questions, loin de là !

  • Localiser la photographie

Deux éléments permettent de déterminer le lieu où a été prise cette photographie : le numéro du régiment, nettement identifiable sur les uniformes (képis et pattes de collet) et le cachet de la Poste, bien qu’incomplet : la carte a été postée à Saint-Mihiel, commune à se trouve le 150e RI, régiment auquel appartiennent ces soldats.

Avons-nous des certitudes pour autant ? Non, même si cela peut paraître surprenant au premier abord. En effet, on sait seulement que la carte a été postée dans cette ville, rien ne permet d’affirmer que c’est là qu’a été pris le cliché, il n’y a aucune indication précise du lieu.

  • Dater la photographie

Le cachet de la poste pourrait être une indication importante pour la datation du cliché, hélas, il est mal frappé. On ne lit que difficilement le mois et le jour et pas l’année. Ainsi, malgré sa circulation, cette photographie n’est pas datée avec précision. On ne lit que 22-11 (et le 11 simplement parce qu’il a créé une marque à sec sur l’image).

Il y a bien un nom de soldat sur cette carte, mais sans accès à sa fiche matricule et dans la mesure où il ne semble pas avoir été tué à la guerre, impossible de déterminer une période plus précise. Il ne faut toutefois pas avoir de regrets sur ce dernier point : il serait particulièrement de mauvais goût de regretter qu’un homme n’ait pas été tué à la guerre car cela empêche d’avoir des informations sur cette image !

  • Marcel Fontaine, tambour au 150e RI

Cette photographie de groupe nous permet de faire la connaissance avec Marcel Fontaine, simple soldat au 150e RI, tambour au régiment. Le texte au verso ne nous en apprendra pas plus que la petite étiquette collée par les destinataires sur la photographie pour indiquer où il est (et qui il est) sur la partie photographie : « Marcel Fontaine, notre neveu« . En effet, le texte est laconique, habituel pour le tarif 5 centimes pour au maximum 5 mots + signature. « Amitiés sincères, M. Fontaine« .

Les destinataires sont un oncle et une tante, « Monsieur et Madame A. Clément » qui habitent Lillebonne en Seine-Maritime. Faut-il imaginer notre Marcel venant du département où vivent ces membres de sa famille et envoyé au loin dans un régiment de la frontière dans une région militaire déficitaire en hommes ? Où habitait-il dans l’Est ?

Il est bien difficile de le dire et c’est bien dommage non seulement parce qu’en savoir plus aurait permis de le retrouver, mais aussi parce que s’il s’agissait d’un conscrit de ce canton, on pourrait l’associer au travail de recherche réalisé par une passionnée de ce canton et de la Première Guerre mondiale, Valérie, qui a crée un blog pour publier ses recherches qui sont centrées les communes entre Bolbec et la Seine, dont Lillebonne : les Pommiers.

Quoi qu’il en soit, on ne peut que louer l’initiative de cet oncle et de cette tante qui ont eu l’idée, qui peut paraître saugrenue, de coller une bande d’un timbre pour indiquer qui est sur la photographie en la plaçant de manière à désigner la bonne personne dans le groupe. Un siècle plus tard, cette bande de papier gommé permet de mettre un nom sur un visage de manière bien plus efficace que la croix sans autre indication régulièrement visible.

  • Tambours et clairons

Les 19 tambours et 18 trompettes encadrent un officier et trois caporaux. Il est facile sur cette photographie de distinguer les deux types de musiciens : les tambours portent un baudrier sur lequel est fixé un porte-baguettes nettement visible ainsi que le tablier. On voit bien les détails de cet équipement sur l’image ci-contre à gauche.

Il ne s’agit pas de la « clique » du régiment, l’orchestre comprenant d’autres instruments que les deux visibles. A noter que le mot « fanfare » n’est utilisé que pour les bataillons de chasseurs à pieds.

Pas de lyre sur la manche, mais pour une grande partie des hommes une marque particulière sur le col :

Tous ne l’ont pas, peut-être cela distingue-t-il ceux qui sont en train d’apprendre de ceux qui sont déjà intégrés aux musiciens du régiment ?

L’encadrement est bien visible, au premier rang : trois caporaux, sans qu’il soit possible de dire s’ils sont caporaux tambour ou caporaux clairon. Ils ont repassé leur grade à la craie pour le rendre bien visible comme le numéro du régiment pour celui à gauche du cliché. Au centre de l’image se tient le tambour-major.

  • Une mise en scène inachevée

Que ce soit le choix du photographe ou de l’officier, l’idée était clairement d’utiliser le dénivelé de la zone pour prendre le groupe en entier, le placement final formant une pyramide.

C’est presque réussi. Presque car trois hommes sont hors de la pyramide, ce qui fait qu’elle n’est pas complète et que ce groupe  est à l’écart, rompant la mise en scène.

Au premier plan, devant le groupe, se trouvent des tambours et des clairons. Deux piles de six tambours (posées sur des housses probablement afin d’éviter le contact avec le sol humide), six clairons disposés en faisceaux pour porter la canne du tambour major. Là encore, la mise en scène n’est pas parfaite.

Ce n’est pas la disposition au premier plan qui ne va pas, mais le cadrage du photographe qui laisse deviner ce qu’il est advenu des autres instruments : posés sur le côté… mais dans le cadre de l’image ! On peut aussi remarquer que certains soldats, au moins quatre, ont gardé leur instrument.

  • Petits détails

Les photographies de groupe sont souvent riches en détails difficiles à apercevoir au premier regard. Celle-ci ne déroge pas à la règle, mais peu finalement dans les attitudes, plus dans les uniformes et menus objets visibles.

D’abord, l’attitude classique, amicale, de la main sur l’épaule est visible plusieurs fois.


Ensuite, d’autres arborent fièrement leur prix de tir cousu sur leur manche gauche. l’un d’eux fait même un mouvement pour qu’il soit visible. Un autre ne semble pas avoir eu le temps de coudre son écusson et a donc profité de la craie du photographe pour le dessiner sur sa manche ! A moins qu’il n’ait voulu, par dérision, dessiner un canard… Son voisin, le 1ère classe à sa gauche, non visible sur le gros plan ci-dessous, semble avoir utilisé le même moyen pour faire figurer son prix de tir.

Toujours dans les détails intéressants, la présence de soldats gantés, qui confirment la prise de vue en octobre ou novembre, comme le laisse penser le cachet oblitérant le timbre. Un autre semble fermer les poings pour lutter contre le froid. Mais cela peut être interprété différemment, ce qui montre, comme toujours, les limites des impressions données et qu’il faut toujours être prudent dans ses interprétations (comme en musique d’ailleurs…).

Dernier zoom dans l’image, sur les petites gourdes et quarts décoratifs que portent certains soldats. Classique. Ce qui l’est moins, c’est le cercle clair visible sur le képi d’un homme et sur la capote de deux autres dont la signification m’échappe.

  • Encore un point

Un dernier détail a attiré mon attention sans que je ne sois capable d’interpréter ce que l’on y voit : l’homme à l’arrière plan du dernier extrait de l’image tient un objet. Si vous avez une piste sur ce qu’est-ce objet

  • En guise de conclusion

Il est remarquable de constater à quel point chaque homme, au sein du groupe, cherche à marquer son individualité de manière plus ou moins subtile : en s’écartant du groupe, en prenant une attitude différente, en soignant un détail. Après la photographie, ont-ils continué à jouer ou sont-ils rentrés à la caserne ? Combien parmi les clairons ont survécu aux premiers mois de la guerre où ils furent encore souvent utilisés ? Ah ! Si cette carte pouvait parler…
La suite de l’enquête : une autre photographie de Marcel Fontaine.

  • Pour approfondir

Le blog des Pommiers est à lire même si vous n’avez pas de personnes de votre famille venant du département de Seine-Maritime : l’analyse en cours des statistiques du recrutement de ces cantons est un travail très riche et très intéressant pour approfondir la question du Conseil de révision et du devenir de ces jeunes de vingt ans. Sans que le traitement statistiques ne soit que des chiffres secs car l’aspect humain y est bien présent. A lire et à suivre.


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