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Une histoire de la Grande Guerre teintée de souvenirs

Ducasse André, Meyer Jacques, Perreux Gabriel, Vie et mort des Français, 1914-1918, Paris Hachette, 1962 (1958), 550 pages.

Ce livre est une lecture pratiquement indispensable : rédigé par des anciens combattants, sur les anciens combattants et la population en général, il se nourrit de cette expérience pour raconter de manière plus humaine le conflit. Il centre son étude sur la France, sans négliger pour autant les autres acteurs de la guerre.

Si les auteurs n’étaient pas des Historiens en tant que tels, leur cursus universitaire, les apports de leur travail font qu’il s’agit d’un livre qui a marqué l’historiographie du conflit. Les 40 ans qui séparent sa rédaction de la fin du conflit ont été un temps de prise de recul.

Cette édition s’ouvre sur une longue préface de qualité de Maurice Genevoix. Il explique l’intérêt d’un tel travail à une époque où les anciens combattants étaient encore nombreux : lutter contre « les idées reçues, les préjugés, les légendes [qui] ont la vie dure ». Mais il insiste aussi sur le fait que ce travail est « encore un témoignage. Ce n’est pas une histoire militaire, diplomatique, sociologique, technique mais une « histoire des hommes en guerre » ».

L’histoire proposée est incisive, critique. Le déclenchement de la guerre n’a pas une cause unilatérale, mais est bien un aveuglement de tous les États. La réaction de la population ne fut pas aussi simple que celle montrée par la propagande et certains déjà voyaient tout le malheur humain qui en résulterait.

Tout au long de l’ouvrage, les auteurs font un appel constant aux témoignages pour compléter les documents officiels. Les premiers sont des illustrations liées aux arguments des auteurs, les seconds l’objet d’une utilisation plus critique.

Les témoignages sont pris parmi les acteurs des événements relatés. Pour ne prendre qu’un exemple, concernant les combats de septembre 1914, ils ont sélectionné les témoignages d’un officier et d’un sous-officier du 107e RI. On visualise ainsi bien mieux les efforts allemands comme français, jusqu’au basculement des 9 et 10 septembre.

Ensuite, tout en restant chronologique, le récit se tourne vers la guerre de tranchées : après une description du réseau, les différents aspects de la tranchée, les auteurs évoquent en détail l’évolution de l’armement, de l’équipement. Cette cinquième partie donne une initiation simple au monde de la guerre de tranchées : les grenades, les mortiers, les gaz, les mines, l’évolution de l’uniforme. L’ensemble, tout en étant simple, donne une vision très complète des questions abordées.

Ils développent le concept de « guerre-habitude » page 82, faite d’une « sorte de tour de service ». Détaillé, complet sur ces questions, cet ouvrage est marqué par une sensibilité bien visible car écrit par des anciens combattants : « tout cela, après plus de quarante ans, garde son relent de misérable angoisse »., toujours page 82. Mais aborder ces sujets humains est essentiel pour comprendre les hommes qui furent mobilisés. Ils n’étaient pas traités auparavant dans les ouvrages généraux tournés vers « l’histoire bataille ».

Paperasserie, coups de main, distinctions (critique vis-à-vis de la croix de guerre), mœurs, punitions, mort… sont autant de points faisant l’objet d’un développement. Il est étonnant de constater que les exécutions avant 1917 sont considérées comme des exceptions (page 85). Ce livre est de 1958 et même s’il a marqué un bond en avant, on constate les progrès importants réalisés sur certaines questions.

Les auteurs passent en revue tous les aspects de la vie au front puis s’arrêtent sur l’apparente insensibilité des combattants. « De cette insensibilité devenue obligatoire, et particulièrement forte au combat, l’œil enregistre démesurément l’immédiat, sans réaction correspondante de la conscience (…) Il y a loin de cet état d’âme complexe qui est celui du combattant aux élucubrations de ceux qui, à l’arrière, l’imaginaient heureux de faire la guerre », page 91. Ils poursuivent sur la peur. Ils aboutissent à une étude psychologique et sociologique du combattant, qui se réjouit à la fois de la réussite d’un bombardement mais qui refuse d’appliquer les consignes en certaines circonstances.

Tous les aspects sont reliés à des témoignages. Le bourrage de crâne est abordé à l’aide de l’ouvrage de Géraldy. Page 95, ils notent : « Les combattants sont si convaincus de l’optique fausse des gens de l’arrière qu’ils vont parfois, se reniant eux-même, jusqu’à s’y conformer devant eux, pour ne pas courir le risque d’être incompris ».

Comment ont-ils tenu ? Les PCDF, « Pauvres Couillons Du Front », ont tenu par la violence, la fraternité, mais pas par patriotisme ou pour l’Alsace : « Il se bat par honnêteté, par habitude et par force ». Enthousiaste au départ, découragé ensuite, résigné enfin.

Les auteurs mettent face à face le discours de Joffre sur le grignotage et la réalité : les pertes terribles pour des gains minimes. « Amplification des succès, diminution des échecs y étaient la règle » pour parler de la presse et des communiqués.

Suit une narration critique des « vaines offensives de 1915 », qu’elles soient importantes ou plus locales. Et toutes se soldent par des pertes considérables.

Le chapitre VI aborde l’offensive de Champagne : il revient sur la doctrine qui aboutit à cette offensive conjointe avec l’Artois. Les attaques de corps d’armée puis d’armée n’ont pas donné de résultats. Il faut donc manœuvrer des groupes d’armées. Après la réussite initiale, malgré les progrès tactiques réalisés, l’offensive se heurte à une deuxième ligne intacte qui met fin aux espoirs de percée.

La bataille de Verdun fait l’objet d’un long développement sur les décisions du commandement puis s’attache à montrer l’horreur quotidienne pour les combattants : la soif, la boue… en suivant à chaque fois la méthode employée depuis le début de l’ouvrage : explications puis témoignages. Le travail de démythification est poursuivi (avec la tranchée des baïonnettes), les grands moments narrés (prise du fort de Douaumont, du fort de Vaux). Une fois encore, les communiqués officiels sont vivement critiqués, dans les deux camps, à l’aide des exemples de Vaux et de Douaumont justement.

L’ouvrage ne se contente pas de parler des combats et des soldats. Une partie est consacrée à la diplomatie. Elle montre l’évolution d’un conflit touchant initialement 7 pays mais se terminant à 27. Les auteurs montrent les échecs successifs des entrées en guerre de nouveaux pays (Italie, Turquie, Japon, Roumanie…) ou en tout cas sur le fait qu’elles ne furent pas aussi décisives qu’escomptées. La situation dans les Balkans et en Europe orientale est développée.

La partie consacrée à l’arrière est la plus conséquente de l’ouvrage. Elle commence par aborder la situation des femmes dont elle balaie tous les aspects : économique, soutien moral (infirmières et marraines). Ce qui est notable ici, c’est que le texte est plus lié à des expériences qu’à des statistiques. Il est vrai que quantifier certains phénomènes est difficile. On a donc plus un recueil thématique de souvenirs, le « Je » venant souvent confirmer une idée ou développer un exemple. Le but est atteint car en quelques paragraphes, les différents thèmes sur les femmes en guerre sont dépeints.

Tous les aspects de la vie civile sont aussi abordés. Après les femmes, l’économie, les zones occupées par les Allemands et leur cortège de souffrances, la vie parisienne qui contraste tant, le rire…

Un long développement est fait sur un point que l’on retrouve très régulièrement dans les écrits des combattants : le bourrage de crâne, l’incompréhension entre civils et mobilisés. Géraldy, Werth, Chaine sont utilisés pour appuyer la démonstration. Et il y a toujours des témoignages, comme page 258 : « Un officier en convalescence feuillette, par hasard, une collection de l’Illustration : « Tiens ! Fait-il avec étonnement, et en hochant de la tête, je ne me figurais pas la guerre comme ça » ». Les profiteurs, les modes sont aussi exposés.

Le permissionnaire « ne ressent que le choc brutal qui l’a frappé, le contraste violent entre la mort qui l’attend et le plaisir que s’offre le jouisseur de l’arrière », page 265.

Les aspects politiques ne sont pas oubliés et prennent une place importante à partir de 1917 dans l’ouvrage. On trouve ce thème d’abord lié à la vie à l’arrière, puis on le retrouve dans les choix stratégiques et humains.

Plusieurs chapitres décomposent l’année 1917 en sous-thèmes. Le premier se concentre sur l’échec français au Chemin des Dames et ses conséquences, dont les fameuses mutineries. Toutefois, on sent plus le regard d’un combattant qui essaie d’expliquer le phénomène que d’un historien prenant les faits avec recul. Sont évoqués, la lassitude, l’impression de mourir pour rien, le refus d’y retourner dans ces conditions. La fin de la phrase a toute son importance : ce n’est pas un refus de la guerre. Pétain rétablit l’ordre avec des mesures humaines (plus de permissions en particulier). Avec Pétain commence une série de portraits des commandants de l’armée française.

Ensuite, la vie politique et la vie à l’arrière sont décrites dans plusieurs chapitres. L’importance de l’arrivée au pouvoir de Clémenceau est expliquée. Ce qu’elle changea dans la gestion du conflit en cette fin d’année 1917, si chaotique pour la France, est aussi mis en avant.

La fin de l’ouvrage détaille les étapes qui aboutirent à la victoire des Alliés. Dans un récit plus classique, il faut noter les portraits croisés de Foch et de Pétain particulièrement éclairants, sur l’impact de chacun et leurs différences. Surtout les pages sur l’Armée d’Orient rendent à ce front toute son importance stratégique. Le rôle de Franchet d’Espèrey est particulièrement mis en avant, ainsi que ses difficultés pour lancer son offensive face à un Clémenceau plus que rétif. Le récit fait la part belle aux difficultés rencontrées et aux étapes qui conduisirent d’abord à la capitulation bulgare puis autrichienne.

L’ouvrage s’achève sur le traité de Versailles, ses erreurs lourdes de conséquences pour les auteurs, et sur le retour des mobilisés à la vie civile. Il s’agit de montrer que le monde des anciens combattants, loin de respecter le « Unis comme au front », se divise rapidement. Le dernier aspect étudié est la question de savoir ce qu’il adviendra de la flamme du souvenir sous l’Arc de Triomphe et plus généralement du souvenir de cette guerre ? Les auteurs sont pessimistes. Ce qu’ils n’imaginaient pas, c’est que le dernier vétéran disparu, près de 50 ans plus tard, la flamme continuerait d’être ravivée quotidiennement et le conflit source d’importantes communications, de débats et de commémorations.

Suivent la postface de Maurice Genevoix, toute aussi dense que la préface, et des appendices forts utiles. Genevoix écrit fort à propos, page 492 : « On écrira demain d’autres histoires de la Grande Guerre. On ne pourra plus les écrire comme les histoires des guerres d’antan. C’est l’apport, à mes yeux sans prix, du livre de mes camarades. »

Le premier appendice porte sur « La guerre et les écrivains ». Son corpus sur des thèmes et des styles variés aide à s’orienter et permet au lecteur actuel de retrouver des ouvrages oubliés aujourd’hui. C’est une bonne base de lectures pour qui s’intéresse au sujet et en particulier sur l’aspect humain.

Le deuxième appendice, « La guerre des artistes » insiste sur les œuvres réalisées au cours du conflit et met particulièrement en valeur le travail de A. Dunoyer de Segonzac.

Le dernier, très court, présente les collections du Musée de la Guerre.

  • En guise de conclusion

Un livre incontournable sur ce conflit, à la fois pour la vision critique qu’il donne des événements, mais aussi parce qu’il aborde clairement tous les aspects de la guerre (militaire, humain, diplomatique). De plus, et c’est ce qui en fait sa spécificité, il illustre les thématiques abordées par de longs extraits de témoignages, de correspondances qui permettent aux personnes ayant une vision très vague des événements de l’approfondir immédiatement et pour les passionnés ou les curieux de trouver des références bibliographiques un peu oubliées au profit de quelques ouvrages majeurs.

Un livre qui permet aussi de voir les progrès réalisés par la recherche depuis bientôt 60 ans, mais aussi de constater l’apport majeur qu’il fut à l’époque. On pourra lui reprocher sa vision centrée sur la France, d’avoir peu développé certains aspects, mais il est tout de même marqué par son époque, ce qui n’est pas une raison de s’en détourner !

  • En complément :

Une analyse du livre en 1961 :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pop_0032-4663_1961_num_16_1_7683

Une recension du livre plus récente :
http://www.crid1418.org/bibliographie/commentaires/ducasse_meyer_perreux_001.htm


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