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Une Histoire de la Grande Guerre pour les enfants, 1920

Anonyme, Histoire de la Grande Guerre par un Français, préface de Jean Aicard, Paris, Librairie Hatier, 1920. 405 pages.

La préface met tout de suite le lecteur actuel face au sens du mot « Histoire » du titre. Il s’agit de raconter, sans réelle prise de recul. L’académicien explique qu’une grande offensive est animale, quand une guerre défensive est glorieuse. Le propos est clair. L’Allemagne s’est préparée « Pour la cause de la France, un million six cent mille hommes se donnèrent en sacrifice à la mort » pour finir sur « l’idéal de la guerre défensive s’est incarné un jour dans une sainte jeune fille : Jeanne d’Arc ».

Chaque chapitre est construit sur le même modèle : une série de thèmes au point de vue montrant toujours à la faveur de la France, critique violente de l’Allemagne et parfois de la Russie. Dès le premier chapitre, on constate une histoire orientée, qui tient plus de la reprise de poncifs lus dans la presse pendant le conflit plus qu’une analyse distanciée et une lecture neutre des faits. Il s’adresse aux enfants pour glorifier les soldats français et donner des exemples pour la future génération de conscrits.

  • Qui a rédigé ce livre ?

Certainement pas un ancien combattant tant la vision de la guerre est loin de la réalité. Au contraire, il perpétue la vision véhiculée par la presse, à l’arrière, par la propagande de nombreuses publications réalisées pendant le conflit : cocardier, caricatural, moralisateur. L’ouvrage est bien un récit chronologique du conflit mais à travers un prisme qui n’a pas encore évolué. Il n’y a aucune prise de recul, aucune méthode historique. Les textes sont des illustrations choisies pour appuyer le propos. Il ne s’agit pas d’une démonstration ou d’une argumentation. C’est un récit où la France ne commet pas d’erreurs, où les combattants sont des héros. Ce sont les circonstances qui expliquent des échecs car les Français ne sont que qualités, les Allemands que défauts.

Voici un résumé de chaque chapitre, accompagné de citations montrant l’esprit du texte.

La guerre en 1914

– Cause de la guerre : l’impérialisme allemand. La France, elle, veut la paix. Pour preuve, Caillaux donne une partie du Congo à l’Allemagne avant-guerre.

– Prétextes de guerre et négociations : le mois avant la déclaration de guerre, Allemagne et Autriche-Hongrie se préparent en secret. La déclaration de guerre allemande à la France repose sur un mensonge. L’Allemagne viole la neutralité belge. Pour ce qui est de la mobilisation, « Noble attitude de la France et de l’Angleterre », « Dans un recueillement plein de confiance, le pays concentra ses forces et banda sa volonté décidé dès la première minute à conduire le pays jusqu’à la victoire ».

Le cas de la Belgique est résumé en deux pages et les atrocités allemandes en une phrase : « Ils massacrent des femmes et des enfants, ils pillent et brûlent les villes ouvertes » avant de finir sur l’incendie de Louvain. Concernant la bataille des frontières (qui n’est pas nommée ainsi), elle commence le 21 à Charleroi, « l’armée anglaise avait faibli la première ». Au contraire, l’armée française est héroïque : « ils négligeaient de se protéger (…) l’âme française apparut, avec ses qualités chevaleresques » prenant en exemple les Saint-Cyriens.

Les Allemands sont trois fois supérieurs en nombre, Joffre préfère reculer « dans sa sagesse ».

Les récits d’enfants héroïques tués (dont Émile Després) montrent que cette histoire est ancrée dans une époque. Elle raconte chronologiquement, à l’aide des faits publiés dans la presse tout au long de la guerre, sans chercher à thématiser, vérifier. Ainsi, la victoire de la Marne est résumée par les combats de Mondement, des marais de Saint-Gond et des « autos-taxis de Paris » qui « En un seul voyage, vingt mille hommes furent amenés à Meaux ».. La retraite allemande, contrairement à la française, se transforme en déroute : « les croyants y ont vu l’effet des prières et de la protection des saints de France. Cette rencontre heureuse de l’intelligence, de la bravoure et de la chance a fait donner à notre belle victoire le nom populaire de Miracle de la Marne ». Le chapitre XI est « En pleine bataille » : on y rencontre Charles Péguy qui se sacrifie, ou le sergent Giacomini dans un paragraphe intitulé « Nouveaux d’Assas ».

Chapitre XII, « Un coin de la bataille de la Marne » l’auteur perçoit la nouveauté d’une bataille d’une telle ampleur.

Le chapitre XIII relate la barbarie allemande. « Les témoignages sont nombreux et concordants. Les troupes d’invasion sont suivies de forces spéciales et de voitures automobiles (…). Nous sommes en présence d’une véritable organisation, élaborée pendant la paix par le Bureau des prises de guerre ». Exécution des civils, des militaires, destruction (Louvain et Reims) sont utilisés pour la démonstration. Les récits mis censés illustrer alternent. Page 72, il s’agit de celui de la petite fille du fort de Troyon.

La Course à la mer est « le complément de la victoire de la Marne » puisque la route allemande est bloquée. La bataille de l’Yser est une grande victoire après les glorieux combats de Dixmude. Dans les lectures de fin de chapitre, il a sélectionné le zouave de Dry Gratchen « qui rappelle l’héroïsme du chevalier d’Assas » et Alain de Bréhat.

Le paragraphe sur l’arrière décrit l’action d’une sœur et la lettre d’une veuve.

La description de la guerre de tranchées est faite page 93. Elle est montrée comme une attente du matériel qui permettra de crever le front ennemi, réalisée avec soin par les combattants français, avec une utilisation du fil de fer barbelé. Tout est simplifié, oubliant les tranchées réalisées dès août 1914 ou l’utilisation majoritairement de fil de fer.

Page 94, on découvre que la guerre se déroule ailleurs en Europe : en Russie, en Serbie, sur mer et dans les colonies. Mais ce dernier paragraphe, de 10 lignes, seuls les réussites sont mises en avant, aucun échec n’est mentionné comme celui en Tanzanie.

Le chapitre XXI décrit « l’insolence allemande » : les discours sur le début de la guerre, les exigences allemandes, le rationnement sont développés et résumés ainsi « Elle s’est déshonorée par l’orgueil, la barbarie et le mensonge ; mais elle a donné l’exemple de la discipline et de l’organisation », page 112.

La guerre en 1915

Tous les combats sont présentés comme la préparation de la grande offensive : il s’agit de prendre des hauteurs, Beauséjour, Vauquois, les Eparges, le Hartmanswillerkopf, Notre Dame de Lorette, « La conquête des Belvédères ».

Pour Notre Dame de Lorette, « ce fut l’élan des soldats, heureux d’échapper à la monotonie de la tranchée, élan excessif et mal réglé, qui fit que, sur plusieurs points, les objectifs marqués furent dépassés et que certaines unités se firent faucher », page 121. Les lectures sont composées de Péricard et du grenadier Noël.

L’offensive de Champagne « prématurée » dans le titre est une grande victoire, tout comme l’attaque en Artois. Suite au texte sur « Un mauvais soldat », l’auteur écrit cette réflexion assez symptomatique de l’esprit du livre : « le soldat français sent ses forces décuplées dès qu’on lui parle de la patrie et de la liberté », page 130.

Le chapitre suivant évoque les gaz asphyxiants, les bombardements aériens, la guerre sous-marine. L’entrée en guerre de l’Italie est montrée comme une réussite, les échecs de la Russie sont expliqués par « les classes dirigeantes orgueilleuses et corrompues », l’influence allemande. L’offensive de 1915 est une réussite, mais cassée par les renforts allemands.

La guerre en Turquie est résumée ainsi : le gouvernement est aux mains des Allemands et leur obéit. « En Arménie, les Turcs s’acquittèrent de leur tâche avec une férocité inouïe » écrit-il. L’attaque des Dardanelles, les combats en Arabie et pour le canal de Suez sont décrits. Pour les Dardanelles, le mot « meurtrier » est utilisé.

La conquête de la Serbie et les combats de novembre sont aussi décrits en des termes élogieux. Les combats menés par les troupes françaises, malgré les échecs et la retraite de l’hiver, sont une victoire.

Le chapitre suivant raconte la vie en France, l’effort de guerre, l’économie de guerre. Toujours dans sa logique partisane, l’auteur raconte ce qu’il appelle l’assassinat de Miss Cavell. Et pour l’Allemagne, il évoque l’empereur, les journalistes et la faim.

3e partie : La guerre en 1916

La narration commence avec la bataille de Verdun ? Après deux pages de description, on trouve quatre pages de récits : le colonel Driant, le brancardier Vanier et le commandant Raynal. Le chapitre sur la victoire de Verdun fait quatre pages. Les combats sont séparés de toute analyse stratégique, tout comme l’offensive de la Somme.

Lorsqu’il y a une explication, elle est simpliste et toujours utilisée pour réduire la valeur des Allemands. Par exemple, « Au printemps 1917, les Allemands, se sentant harcelés de tous côtés et craignant de nouvelles attaques, furent obligés d’évacuer une grande étendue de terrain et d’aller se regrouper derrière des lignes plus solides », page 193. Même les réussites ennemies deviennent des victoires. Ainsi, après une attaque allemande, l’Italie se redresse puis fait subir une pression importante à son adversaire. A l’Est, l’offensive russe d’abord victorieuse est finalement un échec, puis la Russie abandonne le combat. La Roumanie est écrasée. La situation en Orient est évoquée, y compris par un récit du massacre en Arménie, et la trahison du roi grec, tout comme la guerre aérienne, la guerre sous-marine et la bataille navale du Jutland.

La vie en France parle à la fois les territoires occupés par les Allemands et de l’arrière. Le développement de la propagande est justifié par la nécessité de répondre à celle de l’Allemagne et les privations sont aussi mentionnées. Pour l’Angleterre, l’auteur développe la mort de Kitchener et la révolte de l’Irlande et dans sa partie intitulée « Chez l’ennemi », c’est le rationnement, la mobilisation des civils et la mort de l’empereur austro-hongrois qui attirent son attention.

4e partie : La guerre en 1917

L’offensive de 1917 sur le Chemin des Dames inaugure ce chapitre. L’échec est mis sur le compte d’un manque de volonté : « On avait manqué de décision. Pour épargner des vies humaines, on avait renoncé aux dures batailles d’où pouvait sortir la victoire. (…) Elle aurait probablement culbuté l’ennemi, qui était alors très organisé et terminé la guerre 18 mois plus tôt », page 231.

Les offensives locales « à rythme court » sont décrites : Yser, Verdun, Chemin des Dames, Saint-Quentin. En Italie, les opérations commencent bien le début est excellent mais se terminent par le désastre de Caporetto. L’effondrement de la Russie et l’agonie roumaine complètent cette présentation de la guerre hors de France en 1917. L’auteur raconte les deux révolutions, celle qui donne le pouvoir à Kerensky puis celle de Lénine. En Orient, les combats pour Bagdad, Jérusalem, la Macédoine mentionnés, tout comme la reprise de la guerre sous-marine par l’Allemagne qui conduit les États-Unis dans le conflit mondial.

Un paragraphe est consacré à Guynemer sur plus de trois pages. L’entrée en guerre des États-Unis est traitée sous l’aspect diplomatique uniquement. Le serment « La Fayette nous voilà » fait l’objet d’un long développement.

Concernant la vie en France en 1917, il reste dans la même lecture des événements : « L’offensive d’avril, commencée brillamment, s’était arrêtée tout d’un coup par ordre supérieur ; pourquoi le public se posait ces questions (…) demeurait anxieux ». Il poursuit en analysant le défaitisme comme organisé par l’Allemagne : « On racontait que les soldats du front se mutinaient et refusaient de se battre. Le mal ne fut pas aussi profond qu’on l’a dit : l’armée française resta fermement disciplinée, mais il y eut ici où là des défections lamentables », page 277. Il relie ce défaitisme avec les accusations portées contre Malvy et Caillaux, avec les affaires Bolo Pacha et Mata Hari. L’auteur rappelle à ce moment « la tyrannie allemande » dans les territoires occupés.

Il faut tenir jusqu’à l’arrivée des Américains, les restrictions commencent mais l’arrivée de Clemenceau est vue comme un grand espoir : « unanimité de confiance (…), large crédit ». Au contraire, en Allemagne il y a des inquiétudes qui poussent à des réformes démocratiques, à des changements de chancelier. Cette fois-ci, il donne crédit à la mutinerie des marins de la flotte et aux informations parlant de faim dans la population.

L’année 1918

L’auteur commence son récit par le traité de Brest-Litovcsk et la paix avec la Roumanie. Il poursuit avec les offensives allemandes du printemps 1918. Il admet que la première est une « grave défaite » qui finit par se stabiliser. Les Anglais ont cédé. Cela conduit à l’unification du commandement allié sous les ordres de Foch dont le chapitre donne une longue biographie croisée avec celle d’Hindenburg.

Les difficultés pour les alliés se multiplient et les Allemands s’en prennent aux civils avec le canon long Grosse Bertha et les Gothas. Il y a ensuite le rétablissement à partir de la seconde bataille de la Marne en juillet 1918. « On est frappé de la tranquillité imperturbable de Clemenceau et du calme souriant de Foch » écrit-il. La confiance revient, aidée par l’arrivée massive des troupes américaines.

En Italie, après les combats sur la Piave, la confiance est grande aussi. En France, la dernière offensive allemande sur la Champagne est aussi bloquée avant que les Français ne contre-attaquent, initiant une série ininterrompue d’offensives victorieuses alliées : Montdidier, la Scarpe, la Lys, l’Aisne, l’Oise. Avant l’assaut contre la ligne Hindenburg, il faut nettoyer les saillants comme à Saint-Mihiel.

L’ouvrage s’achève par la victoire en Orient : Macédoine, capitulation bulgare, libération de la Serbie, victoires en Turquie qui capitule le 1er novembre.

En France, la prise de Cambrai, de Laon, d’Ostende, de Lille, de Douai marquent les étapes vers la victoire finale symbolisée par la demande d’armistice de l’Allemagne et la capitulation de l’Autriche-Hongrie.

La paix :

Après la marche vers le Rhin et le retour de l’Alsace-Lorraine à la France, l’auteur revient sur la conférence de paix. Le livre reprend de nombreux textes à la fin et après le 14 juillet 1919, il se termine par « Un appel à la jeunesse de France, le 1er juillet 1919, de Tardieu de six pages et la dernière illustration est « Je t’ai cherché » de Réal del Sarte présenté au Salon de 1920.

  • En guise de conclusion

Bien que destinés à des enfants, en lisant un tel ouvrage, on comprend mieux que certains thèmes soient « oubliés » de la littérature scientifique comme les mutineries ou certains échecs. Cet ouvrage raconte la Première Guerre mondiale avec un sens unique de lecture. Il s’agit d’une chronique partisane dans le droit fil de ce qui s’écrivait pendant la guerre à peine deux ans plus tôt. Ce n’est pas de l’Histoire, mais sa lecture est intéressante car elle montre l’évolution depuis plus d’un siècle de la vision du conflit, de son étude. Ce livre est à découvrir en ce sens. Et permet de s’interroger sur ce qu’on trouve aujourd’hui dans la littérature jeunesse à ce sujet. Force est de constater qu’en 2014, les publications en apportant des thématiques plus récentes, gardaient un certain nombre de poncifs véhiculés depuis un siècle.

Complément :

Pour en savoir plus sur le préfacier Jean Aicard : http://www.amisdejeanaicard.free.fr/?page_id=1786

Sur cet ouvrage : https://sourcesdelagrandeguerre.fr/?p=3142


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