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Une histoire de la Grande Guerre pour le grand public, 1932

GIRAUD Victor, Histoire de la Grande Guerre, Paris, Éditions Flammarion, 1932. 127 pages.

Dans le foisonnement des ouvrages qui furent publiés pendant et juste après la guerre avec pour objectif de raconter le conflit, celui-ci est dans une logique fort éloignée de celle des historiens actuels. Ce petit ouvrage de 126 pages donne une vision engagée, voire caricaturale du conflit.

Le livre de Victor Giraud est en fait un résumé réécrit d’un autre ouvrage rédigé par le même auteur mais publié en 1919-1920. Le temps n’était pas à la prise de recul ou à l’analyse, mais bien au récit dans l’esprit du temps.

Dès la première page, le ton est donné : l’Allemagne est seule responsable du déclenchement du conflit. Suit une argumentation partisane, réquisitoire de plusieurs pages, où tous les qualificatifs utilisés pour l’Allemagne sont négatifs: l’Allemagne et « sa détestable complice » l’Autriche-Hongrie, le plan de campagne a été « traîtreusement préparé ». Elle a donné à la guerre « un caractère d’atroce inhumanité, d’immoralité foncière », sa natalité est « exubérante »… Même la moustache de son empereur est source d’inspiration pour l’auteur : elle est qualifiée de « provocante ».

Seul élément négatif pour les membres de la triple entente, car la Russie, la France, la Grande-Bretagne sont vues comme des victimes devant se défendre, est l’insuffisance de la loi de recrutement de 1913 (qui n’est qu’une riposte à celle votée par l’Allemagne). L’image de la Belgique est toute aussi positive et héroïque.

Tout l’ouvrage est au diapason des premières pages. Ainsi, page 18, voulant montrer les problèmes diplomatiques entre deux représentants des pays, Victor Giraud arrive à la conclusion qu’il y avait opposition entre « deux races » : .les Anglais, sérieux et calmes, et les Allemands, colériques et au physique ingrat. Page 20, il va plus loin, « L’Allemand n’existe plus ; il n’y a plus que le Boche ». Au contraire, les Belges sont décrits comme « un petit peuple, petit de territoire, mais grand par le cœur ».

On a donc clairement une présentation manichéenne du conflit, les Français et leurs alliés étant toujours vus de manière très positive, les Allemands et leurs alliés toujours de manière négative. Il y a évidemment quelques exceptions, mais elles sont si anecdotiques qu’on peut reprendre les mots de l’auteur pour résumer l’esprit du livre : « d’un côté c’est le parjure dévoué et glorifié et le déchaînement, à peine déguisé, des plus basses convoitises. De l’autre, c’est le droit volé qui appelle la force à son aide ». Déjà vue dans les premiers chapitres du livre, l’évocation des combats ne change pas d’optique. « La Première passe d’armes » commence par un portrait hagiographique de Joffre. Pétri de qualités (il y en a une demi page), le ton donne le « la » des présentations des généraux qui suit. On peut résumer le discours avec cette phrase : « Pour la science militaire, l’intelligence générale et l’énergie du caractère, le haut commandement français ne le cède à aucun autre ». Le commentaire est aussi élogieux pour les officiers comme pour les simples soldats. Seule vague critique : l’offense à tout prix. Et du côté allemand ? « des officiers brutaux et pleins de morgue », seuls les soldats sont un peu épargnés. L’armement allemand et les effectifs sont montrés comme supérieurs, cette armée est donc « une monstrueuse, une « colossale » machine de meurtre »., mais c’est une manière de valoriser l’esprit des combattants français qui vont tout de même de l’avant, qui résistent. Si les Français résistent à plus puissant et à plus nombreux qu’eux, c’est donc que ce sont des héros.

Le conflit est clairement vu dans une optique française, gommant ce qui dégrade l’image de son armée, négligeant (sans oublier de les mentionner pour autant), les autres fronts. Ensuite, une fois la course à la mer évoquée, il insiste sur les combats de l’Yser. Une fois encore, c’est un combat héroïque contre un ennemi supérieur en nombre. Mais on se demande d’où il sort son « au total, 77 pour 100 des forces allemandes seront engagés contre les troupes anglo-franco-belges, dont les effectifs et les moyens sont infiniment plus faibles » ?

Vient ensuite le portrait moral des « poilus », prêts à tous les sacrifices, y compris le suprême. « Ces héros ne sont pas moins moroses ; ils ont l’héroïsme gai », page 48. Les commentaires sont du même niveau pour les « Jasses » et les « Tommies ». Mêmes constats sur la population civile : « A l’héroïsme du front répond l’héroïsme de l’arrière », page 49.

Le chapitre VIII fait appel à tous les noms des combats de « grignottage » de Joffre ainsi qu’à des figures emblématiques : le soldat Collignon aux Eparges, Péricard et son « Debout les morts » par exemple. Conclusion de l’auteur : à une seule exception, l’année 1915 voit les échecs de l’Allemagne sur tous les plans.

Le reste du livre est dans le même esprit, celui des communiqués officiels publiés au cours de la guerre. La bataille de Verdun, c’est « le duel de deux âmes ». Il faut tenir « contre les hideuses faces convulsées de ces Allemands gorgés d’alcool et d’éther », page 66. Verdun est un échec cuisant pour l’Allemagne, comme la bataille de la Somme et l’offensive Broussilov. Même l’offensive d’avril 1917 sur le Chemin des Dames est une « moindre victoire ». La règle est simple : pas d’échec français (les Dardanelles ? Les Français étaient réticents et n’ont pas été écoutés), aucun réel succès pour l’ennemi, une fois encore dans la droite ligne des écrits officiels publiés pendant la guerre. Le manque de recul est criant quand il écrit, toujours à propos de l’offensive du Chemin des Dames : « Pour des raisons assez obscures, l’offensive française est arrêtée », page 86. Même chose pour la guerre sous-marine qui n’a pas atteint la moitié des objectifs quantitatifs.

Les mots sont durs contre les bolchéviks, mais l’auteur s’attarde surtout à la fin du livre sur Hindenburg et Lundendorf dont les portraits sont particulièrement critiques : des hommes sournois, rudes, manipulateurs, brutaux, voulant jouer les Napoléon. Tout le contraire du portrait de Foch dans le même chapitre. Toutes les offensives du printemps 1918 sont de cuisants échecs pour les Allemands, pertes chiffrées à l’appui ; mais rien n’est dit des pertes françaises. Ensuite, les lignes de défense ennemies sont enfoncées les unes après les autres laissant l’image d’une victoire plus facile, liée aux combats des années précédentes.

  • En guise de conclusion

Un livre qui raconte chronologiquement les faits, réalisé à l’aide de travaux d’un universitaire reconnu, dans l’esprit de l’époque et non dans une volonté de faire un travail historique. Il s’apparente au final plus à une transcription de poncifs lus dans la presse et des exagérations des communiqués pris au premier degré. Cela donne un récit orienté qui offre une vision très partielle du conflit (front ouest essentiellement, les autres étant accessoires, ce qui se voit encore dans le dernier chapitre où la défection de tous ses alliés n’est pas directement reliée à la défaite allemande) et très partiale. Le fait que l’auteur ne soit ni un ancien combattant ni un historien explique que l’on retrouve finalement un récit tel qu’on pouvait le trouver dans la presse. Et cela nous montre les progrès réalisés depuis dans la compréhension du conflit et plus généralement dans sa connaissance. Un livre à lire en gardant bien ces faits en tête.

  • Pour aller plus loin :

Un exemple d’histoire de la Grande Guerre rédigé 10 ans plus tôt : https://parcours-combattant14-18.fr/une-histoire-de-la-grande-guerre-pour-les-enfants-1920/

Notice nécrologique de l’auteur : https://harry-bernard.com/1954/02/19/un-critique-catholique-victor-giraud/


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