Les JMO ont un contenu variable à l’extrême, depuis le rédacteur qui ne note que le lieu où se trouve le régiment, voire rien du tout, à celui qui décrit tout ce qu’il se passe sans oublier d’indiquer le sort individuel des hommes. Dans les JMO des RIT, unités souvent moins exposées, on trouve plus souvent des informations sur les pertes quotidiennes, en particulier à la fin de la guerre. Qui plus est, la dissolution des RIT au profit de bataillons indépendants voire de compagnies isolées a permis la multiplication des JMO et la possibilité de suivre plus en détail certains parcours.
Le 1er bataillon de pionniers du 64e RIT est dans le secteur de Roye en septembre 1918. Suite à la dissolution du 64e RIT, il a été formé comme bataillon indépendant le 15 août précédent. Il vient d’être affecté à la 153e DI au cours des derniers jours d’août (10e CA, Ière Armée). C’est d’ailleurs dans le JMO du 10e CA que l’on trouve des références aux missions données aux compagnies territoriales.
Le bataillon arrivé au sud de Roye le 1er septembre est chargé de la réfection et du nettoyage des abords de routes dans un secteur fraîchement libéré. Il est vrai qu’une photographie prise fin août 1918 montre l’état des routes et des abords.

L’Argonnaute – Bibliothèque numérique de La Contemporaine : VAL 432/016

Source : AFGG, Tome VII, carte n°26.
Le cantonnement des compagnies se localise à proximité des chantiers.


C’est au retour de la journée de travaux que se déroula un drame à la 3e compagnie, le 4 septembre vers 16h15. Un soldat du groupe de récupération chargé d’enlever les munitions dans les ruines revint au cantonnement avec deux obus de 37 mm. Le caporal Charles Riquet1, voyant cela, lui demanda de se débarrasser au plus vite de ces munitions. On peut se demander sur ce qu’il comptait en faire d’ailleurs : vu leur taille réduite, des objets décoratifs ? Récupérer la douille ou du métal ? On ne le saura jamais car le soldat Jean Brunet n’a pas eu l’occasion de l’expliquer. Il obéit à l’ordre du caporal, s’éloigna d’une cinquantaine de mètres quand une explosion retentit. Des hommes accoururent pour trouver le corps de Brunet, le crâne fendu et le corps touché à d’autres endroits.
L’hypothèse évoquée par le rédacteur du JMO est que Brunet, au lieu de déposer les deux obus, les jeta au sol où ils explosèrent.
Son corps fut inhumé le soir même dans l’ancien cimetière communal de Beuvraignes.
Le bataillon continua ses missions jusqu’à sa dissolution en janvier 1919. Étonnement, Brunet n’est pas dans la liste des pertes dressée dans l’historique du régiment. Par ailleurs, ce dernier s’arrête à la dissolution du corps en tant que régiment et n’évoque même pas l’existence de bataillons indépendants pourtant gérés par le même dépôt et portant l’écusson du 64e RIT. L’historique s’est concentré uniquement sur la période « unité combattante ».
- Le parcours de Jean Brunet
Né en 1877 en Charente, Jean Brunet était analphabète. Cela ne l’empêcha pas de devenir 1ère classe. Après ses trois ans de service actif au 60e RI, il fit ses différentes périodes d’exercices au 138e RI.
Arrivé au 90e RIT le 7 août 1914, il resta au dépôt jusqu’au 31 mai 1917. Il semble qu’il ait été un temps classé « Service auxiliaire » en septembre 1915 pour « Perte d’une phalange du pouce ». Réintégré dans le « service armé », il est envoyé aux armées le 1er juin 1917 au 2e RI avant d’être affecté au 64e RIT le 7 octobre 1917.
À l’exception du JMO, aucun document n’indique la nature accidentelle de sa mort, ni sa fiche matricule ni la transcription de son acte de décès. La fiche Mémoire des hommes indique juste « Tué à l’ennemi par éclats d’obus ».
- En guise de conclusion
L’intérêt des JMO est multiple : quand ils sont bien complétés, ils permettent à la fois de décrire et de suivre le parcours d’unités particulières, mais aussi de découvrir le sort de soldats tombés au sein de l’unité. Sans le JMO du 1er bataillon du 64e RIT, les circonstances de la mort accidentelle de Jean Brunet auraient-elles été connues ?
- Sources :
Service Historique de la Défense :
SHD GR 26 N 787/15, JMO du 1er bataillon de pionniers du 64e RIT.
https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/e00527c9d23dc4c2/527c9d2402839
SHD GR 26 N 133/10, JMO du 10e CA.
https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/ark:/40699/e0052ab2d2b86b5b/52ab2d2c37743
Archives départementales de Haute-Vienne :
1 R 567 : fiche matricule de Brunet Jean, classe 1897, matricule 1718 au bureau de recrutement de Magnac-Laval.
https://archives.haute-vienne.fr/ark:52328/s0056bc2f31be402/56bc2f3257232.fiche=arko_fiche_60362df4b3ce3.moteur=arko_default_60363483e20cb
Archives départementales de Charente :
3 E 266/16 : Etat civil de la commune d’Oradour-Fanais, décès 1913-1922, vue 170/195.
https://lasource.archives.lacharente.fr/ark:/61904/s00552b5fe01fd26/img:FRAD016_3E_266_0016_170
Archives de Paris :
D4R1 953 : fiche matricule de Riquet Charles Joseph, classe 1897, matricule 3662 au bureau de recrutement de Seine 4e bureau.
Gallica :
Carte du département de la Somme. A. Lévy (Paris), 1911.
Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE D-6477.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8445394t/f1.item
Anonyme, Historique résumé du 64e Régiment Territorial 1914-1918, Nevers, Imprimerie Fortin et Cie, 1920.
http://tableaudhonneur.free.fr/64eRIT.pdf
L’Argonnaute – Bibliothèque numérique de La Contemporaine :
VAL 432/016 : Beuvraignes. Route d’Amy. 28 août 1918.
https://argonnaute.parisnanterre.fr/ark:/14707/k2sbvht4zm30/d5df591e-6704-476a-b083-f803ec15911d
Retour aux études au détour des JMO
- Le caporal Charles Riquet fut mobilisé au 35e RIT. Nommé caporal le 15 avril 1915 puis sergent le 27 juillet suivant, il passa au 93e RIT le 28 juillet 1916 où il fut remis caporal le 13 août 1917. Il arriva au 64e RIT le 6 février 1918 et y resta jusqu’à sa démobilisation en janvier 1919. ↩︎