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52 – 76e RI, neige et exercices.

Ce que je cherche dans les clichés étudiés, c’est de la spontanéité. Bien souvent, les hommes posent. Ces attitudes nous enlèvent bon nombre d’informations, nous donnant à voir des situations stéréotypées. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’inattendu pour autant. Bien que vu par certains soldats, ce photographe a réussi à saisir une scène loin d’être figée au cours d’un rassemblement.

  • À l’exercice

Sous les ordres de trois sergents, un groupe de recrues est en train de se placer en ligne par escouade. Ces huit escouades donnent deux sections complètes, en théorie. On est toutefois loin des effectifs de guerre (à savoir 13 soldats par escouade). Ils ne sont ici que 8, ce qui n’a rien d’anormal et surtout la composition d’une section en temps de paix est réduite à deux escouades. Ce sont donc quatre sections (soit une compagnie) qui sont devant nos yeux.

Il est fort probable qu’une autre compagnie se trouve à proximité. D’ailleurs cet homme isolé pourrait indiquer sa présence hors-champ. À moins que ce ne soit un homme destiné à venir compléter les rangs en train de se mettre en place.

Comme l’indique le geste du sergent, les hommes sont en train de se mettre en ligne. Il donne des indications à quatre hommes qui ne perdent rien de ses consignes : tous ont le regard tourné vers lui et semblent particulièrement attentifs, les voisins se contentant d’observer.

L’alignement est en cours et d’autres soldats sont encore en train d’arriver. Un camarade tient le fusil d’un homme flou qui arrive. Il ne manque qu’eux pour terminer l’alignement de la dernière escouade visible au fond à gauche.

  • Qui ? Où ? Quand ?

Il est bien difficile de dire où sont ces hommes. Il faudrait déjà connaître à quel régiment ils appartiennent. Pour l’instant, c’est difficilement lisible sur quelques cols. Je pense lire « 76 », mais sans assurance.

Les autres cols et les képis sont peu nets voire flous ce qui empêche toute lecture, quand il y a un petit quelque chose de discernable ce qui n’est pas souvent le cas. S’il s’agit du 76e RI, nous sommes en région parisienne, sans qu’il soit possible d’en dire plus (ce régiment était caserné à Paris, Coulommiers et Sevran avant-guerre).

Seule certitude, ils ne sont pas dans la caserne, mais soit au champ de tir (ce que laisse penser la butte à l’arrière-plan) soit dans un champ de manœuvres.

Dater la photographie n’est pas plus évident en l’absence de texte. De ce fait, seuls quelques détails permettent de s’en faire une idée. Ainsi, certains hommes ont des cartouchières modèle 1905. Ils ont tous un rouleau d’épaule. Mais à part cela…

Je pense à une photographie prise peu avant le conflit, sans pouvoir plus affiner l’hypothèse.

  • Un encadrement présent

La qualité de la photographie rend difficile la mise en évidence de l’encadrement. Il est pourtant bien présent. Quatre sections, cela veut dire quatre sergents. Nous n’en voyons avec certitude que trois. Peut-être un quatrième se trouve-t-il parmi les hommes, par exemple en haut à gauche, en train de placer les soldats en rang ?

Les deux sergents les plus visibles ont chacun une caractéristique : le premier, à gauche, a un prix de tir visible sur sa manche gauche.

Le second est un sergent rengagé. On le voit grâce au liseré en bas de ses manches et à son képi d’achat personnel (il a une forme particulière comparée à celle des autres hommes).

Chaque escouade doit avoir son caporal. Les bas de manches peu visibles et surtout le manque de contraste de l’image rendent difficilement discernables les galons. Tout au plus un caporal est identifiable avec un peu d’assurance (à gauche ci-dessous) :

On distingue quelques soldats de première classe, mais ce ne sont pas des gradés et n’ont donc pas de rôle dans l’encadrement (soldat à droite ci-dessus).

On arrive fort logiquement à se poser la question de savoir qui a pu prendre cette photographie : un photographe professionnel aurait-il fait un tel cadrage ? En l’absence d’officier sur la photographie, on peut être tenté d’en déduire que c’en est un qui a immortalisé cette scène. Sauf que rien ne nous dit qu’un ou plusieurs officiers ne sont pas hors-champ. Il est donc impossible, en l’état, d’avoir une réponse raisonnable à cette interrogation.

  • Dans le froid

Si nous n’avons ni date ni lieu, on a un contexte et on peut facilement observer le temps qu’il faisait.

Pour le contexte ; c’est certainement un exercice de l’école de section. La période hivernale fait penser qu’il s’agit du début de cette instruction. Pour des hommes exercés, serait-il nécessaire de donner encore des instructions pour l’alignement ?

Le froid est mordant. Ce n’est pas la neige fraîche qui nous le montre. Elle a dû tomber récemment car les pas des hommes la marquent, mais il y a encore des zones bien blanches où ils ne sont pas passés. Ce qui montre le froid, ce sont les gants de quelques sous-officiers mais aussi quelques gestes de certains hommes : un qui s’essuie le nez, un autre qui a les mains crispées.

Il n’est pas question ici pour les hommes de faire une grimace, de sourire, de poser. Encore que , on peut se demander à quel point la pose est naturelle quand on voit le soin de certains hommes à être bien droits quand la majorité ne s’occupe pas de ce qui se passe ailleurs. Ces hommes si rigides ont-ils vu le photographe et ne sont-ils pas finalement en train de poser pour donner l’image du parfait soldat ?

Les hommes forment le rang, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne tournent pas la tête, curieux de cette personne qui les photographie. Ils ne sont pas nombreux à observer le contre-champ de notre vue.

D’autres sont concentrés sur ce qui se passe devant eux.

Cette scène devait être assez typique des entraînements en extérieur au début de la classe. En effet, les jeunes recrues arrivaient en fin d’année, à la mauvaise saison. Si les photographies prises à cette époque, en extérieur, ne sont pas légions, celle-ci illustre bien cette difficulté du début du service actif. On peut observer la jeunesse de ces hommes : plusieurs d’entre-eux n’ont pas de moustaches.

  • Une autre énigme

Dans le canon du lebel d’un soldat, on trouve un objet métallique. Il n’a pas été possible de déterminer son usage. Si un lecteur a une idée ou une certitude, qu’il n’hésite pas à les partager en me contactant à l’adresse (en bas de page).

Patrice a proposé plusieurs possibilités :

– un outil de nettoyage, mais le modèle postérieur de 1922 n’a pas cette forme de poignée ;

– un outil d’armurier pour sortir une cartouche coincée dans la chambre (la cartouche mle 1886 avec sa forme en bouteille pose souvent des problèmes dans le fonctionnement des armes) ;

– il peut s’agir de la tige de support pour palette pour réglage du pointage du fusil, comme expliqué dans les pages du manuel de gradé d’infanterie de 1926. Ce qui pourrait correspondre à la possibilité du champ de tir, avec cet outil emporté par un armurier.

Grâce à G. Darmagnac, cette question a trouvé sa réponse : il s’agit bien d’un outil de nettoyage.

L’illustration présentant le nécessaire de chambrée modèle 1896 montre qu’il s’agit de la poignée d’une baguette de graissage ou de nettoyage. Cela va aussi dans le sens d’une photographie prise sur un champ de tir.

  • En guise de conclusion

Ah ! S’il y avait d’autres clichés pris le même jour, on pourrait avoir quelques certitudes sur les circonstances de cette prise de vue, sur le lieu, sur le photographe. Il faut donc se contenter de ce qu’elle nous montre, des hommes à l’exercice en plein hiver. Elle offre un grand nombre de détails à observer et de pistes pour essayer de la faire parler. Elle nous permet surtout de découvrir un cliché non posé, même si certains semblent avoir malgré tout voulu paraître plus qu’être.

  • Remerciements :

À Patrice Lamy qui a bien voulu me confier une numérisation de cette image pour réaliser cette étude et à G. Darmagnac pour son aide pour déterminer ce qu’est l’outil sortant du canon d’un fusil.

  • Source :

LATOUR Jean-Claude (2013). « Août 1914. La compagnie d’infanterie », GBM 104, avril, mai, juin 2013, pages 9 à 20. L’article indispensable pour qui s’intéresse à l’organisation d’une compagnie d’infanterie en août 1914 et pendant la période qui le précède.


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