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62 – En manœuvres, 131e RI, vers 1909-14

Si la majorité des clichés montre des soldats en uniformes portés de manière plus ou moins réglementaire, il arrive qu’ils tombent la capote et nous permettent de constater que l’habillement réglementaire ne se limitait pas à cette couche visible. Spécialiste du décryptage des clichés de cette période et maîtrisant finement l’équipement des soldats, Marc du Forum Pages 14-18 a eu la gentillesse d’apporter quelques précisions.

  • Une allure bien peu réglementaire, et pourtant

Ces huit soldats appartenant au 131e RI sont au repos.

Un seul porte visiblement les godillots et ses guêtres. Tous les autres ont leurs chaussures de repos (espadrilles le plus souvent) et leur bonnet de police plutôt que le képi.

Un seul porte son képi sur lequel on voit une pastille métallique, signe qu’il appartient à la collection d’instruction.

Que font-ils ? Où sont-ils ? Difficile de le dire. Sont-ils au repos dans une ferme pendant des manœuvres ou une marche ? Cela expliquerait la présence d’un vélo (civil ?), de morceaux de bois en désordre, de ce qui semble être un verger à l’arrière-plan du seau en toile et surtout qu’un photographe soit présent.

Voici le complément apporté par Marc concernant le contexte général de ce cliché.

Ce groupe de huit hommes près d’un verger est au cantonnement (le ras-cul omniprésent est réservé à cet effet), probablement lors de manœuvres dans l’immédiat avant-guerre, entre 1909 et 1914. 

La plupart des hommes montrent leurs sous-vêtements et sont chaussés d’espadrilles. Peut-être les uniformes sont-ils au lavage et les brodequins au décrottage (la présence de nombreux hommes en caleçon et espadrilles, le fait que l’un d’eux tienne à la main une paire de brodequins sales semble aller dans ce sens, tout comme le linge qui sèche dans le verger).

Au-delà de la description riche des équipements, quelles poses ces hommes ont-ils adoptées pour le photographe ?

  • Durs ou joyeux drilles ?

Il est vrai que l’observation de cette photographie a de quoi surprendre. Deux des hommes ont une attitude plutôt classique : l’un a le visage fermé quand l’autre a un petit sourire.

Deux hommes ont enlevé leur pantalon. Vestes et capotes ne sont plus sur le dos que de quatre d’entre eux, les autres étant en chemise et le dernier en « marcel ». Ce soldat ne manque pas d’ailleurs de gonfler les muscles.

L’homme le plus à gauche a utilisé son col et la double rangée de boutons pour attacher son haut de capote de manière fantaisiste et fort peu réglementaire.


À côté de lui, l’homme exhibe sa chaussette trouée et le voisin de ce dernier pose comme un hidalgo.

La question ouvrant ce paragraphe est purement rhétorique : on ne saura jamais le message que voulurent faire passer ces hommes en posant ainsi, encore moins quelle était leur personnalité. Chaque personne l’observant pourra proposer son interprétation, fruit de son propre parcours et de son regard. Rien ne pourra étayer quelque proposition que ce soit vu que nous n’avons strictement rien pour l’étayer, à l’exception de cette image : pas de témoignage ni de texte au dos.

Derrière ces attitudes, il y a pour nous un réel intérêt : ces hommes nous montrent une partie de leur tenue habituellement masquée par le bourgeron, la veste ou la capote.

  • Ce qu’il y a sous l’uniforme de façade

Si la pose est peu partiale, les vêtements portés sont tout ce qu’il y a de réglementaire.

– Le caleçon est le sous-vêtement des soldats, on voit même les quatre boutons réglementaires.

– La ceinture de flanelle doit être portée sur ordre. Elle protège le ventre du froid.


– La cravate n’est certes pas nouée correctement mais sa présence est réglementaire.

– La chemise réglementaire est visible en partie ou intégralement sur le dos de quatre de ces hommes. On peut même voir le matricule tamponné sur l’une d’entre elles.


– Les bretelles sont toutes différentes. Sont-elles du modèle distribué par l’intendance. Toutes celles visibles sont-elles d’un achat personnel ou de divers fournisseurs ?

– Derniers équipements : le tire-chaussette, non réglementaire, ainsi que le « marcel » tout aussi peu orthodoxe et absent des fournitures de l’armée.

C’est une fois encore à Marc que revient le mot de la fin de ces quelques présentations.

La présence de nombreux effets d’origine civile s’explique par l’aspect peu pratique de certains articles réglementaires (ex : bretelles non solidaires) ou la faible quantité de la dotation initiale (ex : seulement deux chemises, pourtant en contact avec les parties génitales une fois rentrées dans le caleçon). 

De plus, ces éléments sont portés sous l’uniforme. Ils sont donc peu visibles habituellement et ne nuisent pas à l’homogénéité de la troupe, d’où une grande tolérance. D’ailleurs, les sous-vêtements réglementaires ne sont eux-mêmes pas homogènes : il existe des caleçons indifféremment blancs ou à rayures, des chemises à petits carreaux ou à rayures (bleues, rouges, noires…).

  • Inventaire des effets militaires souvent invisibles

Les détails fourmillants dans cette image, Marc nous propose une description de l’équipement de chaque homme visible.


Bonnet de police 1891 avec petite grenade enflammée découpée en drap garance cousue sur le côté gauche. Il ne s’agit évidemment pas d’un insigne de grenadier (spécialité réactivée en 1915 et dont l’insigne se porte sur la manche gauche) mais du symbole de l’infanterie, arboré de façon non réglementaire, mais que l’on retrouve sur tous les bonnets de police de la photo. Il serait intéressant de comparer avec d’autres clichés du régiment à la même époque pour vérifier si son port était généralisé dans l’unité ou concernait seulement une fraction de l’effectif (compagnie ? bataillon ?) Pour le reste, chemise, cravate, caleçon long et espadrilles. La capote 1877 est portée col ouvert, signe qu’il fait chaud. Le numéro du régiment figure au col, tout comme les petites pastilles d’identification de la collection d’instruction. Les rouleaux d’épaule sont du modèle 1908 à un seul rouleau par épaule. Un prix de tir en drap découpé garance est visible sur la manche gauche.

Chemise blanche non réglementaire, cravate, bretelles non réglementaires, caleçon long, chaussette (trouée) et fixe-chaussette non réglementaire. L’homme ne porte pas sa plaque d’identité autour du cou, mais l’a accrochée à une poche de sa chemise. Le port des plaques d’identité pourrait indiquer une photo prise dans le cadre de manœuvres (grandes manœuvres d’automne ?)

Ras-cul modèle 1870 écussonné. Chemise réglementaire (modèle à petits carreaux). Pantalon de drap, soutenu par des bretelles (peut-être réglementaires celles-là). La pastille de la collection d’instruction est bizarrement fixée sur la poitrine plutôt qu’au col (à moins qu’il ne s’agisse d’un défaut de la photo, ce qu’il n’a pas été possible de déterminer après consultation du document original).

Bonnet de police 1891 avec grenade, ras-cul modèle 1870 de la collection d’instruction, cravate, espadrilles.

Soldat de 1ère classe (galon au bas des manches). Bonnet de police avec grenade. Ras-cul 1870 écussonné. Pantalon de drap. Espadrilles.

Bonnet de police avec grenade. Maillot sans manches (non réglementaire). Le cordon de la plaque d’identité est visible autour du cou. Bretelles non réglementaires. Tient une paire boueuse de brodequins modèle 1912 à la main (mais pas les siens puisqu’il les porte aux pieds). Ceinture de flanelle non réglementaire. Une épingle à nourrice est fixée sur la poitrine, peut-être pour le maintien de la ceinture de flanelle ? Pantalon de drap, guêtrons de cuir et brodequins.

Bonnet de police avec grenade. Chemise réglementaire (modèle à petits carreaux) et cravate. On distingue nettement le marquage à l’encre sur la chemise « 131e de L. » suivi du matricule (illisible) du soldat. Caleçon long et espadrilles.
Képi 1884 de la collection d’instruction. Le numéro du régiment est presque invisible sous la jugulaire. Chemise réglementaire (modèle à petits carreaux). Le marquage à l’encre se devine sous la bretelle gauche. Bretelles du commerce, caleçon long, espadrilles.
  • En guise de conclusion

Finalement, c’est bien encore une photographie de soldats, même si leur allure diffère nettement de ce que la majorité acceptait de montrer habituellement. Elle a au moins l’avantage d’illustrer la notion d’uniforme dans l’armée : rien n’est laissé au hasard, chaque élément composant l’uniforme est codifié, porté suivant un règlement, que les hommes cherchent à contourner dans la limite des tolérances, afin d’avoir un peu de confort ou d’originalité. La manière de porter le képi, d’en tordre la visière est le plus classique.

  • Remerciements :

À Marc du Forum Pages 14-18 pour les compléments.

  • Sources :


Dekerle S., Mirouze L., L’Armée française dans la Première Guerre mondiale – Uniformes, équipements, armements, Tome 1 1914, Vienne (Autriche), Editions Verlag, 2007.


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