Cette photo-carte a été taillée et ne mentionne pas de date, mais ce qu’elle montre est un épisode très connu du conflit : la destruction du Zeppelin LZ-77 à Revigny en 1916.
Le Zeppelin de Revigny
Il existe des articles, de nombreuses pages internet sur la destruction du Zeppelin de Revigny. On trouve d’ailleurs de nombreux documents légendés « Zeppelin de Brabant-le-Roi », le dirigeable ayant été abattu à la limite entre les deux communes. Mon objectif ne va donc pas être de narrer en détail ce qui se passa ce soir du 21 février 1916 aux environs de Verdun, le jour du déclenchement de l’attaque. Simplement, je rappelle que le Zeppelin LZ-77 avait pour mission de détruire la gare de Revigny afin de bloquer l’arrivée des renforts. Au final, il est détruit par un tir d’auto-canon.
Je ne garantis pas que l’illustration ci-dessus soit bien le LZ-77 abattu à Revigny : est-ce son numéro de série (Lz-47) qui a été utilisé dans l’ouvrage ou son immatriculation (LZ-77) ?
La presse fit largement écho de cette destruction et ce, dès l’édition du 22 février des journaux du matin. En effet, dès le 22 février, le communiqué officiel de 5h00 le mentionne. Les photographies furent publiées dans les journaux du matin à partir du 24 février et dans les journaux de province avec un décalage (le 29 février dans « le Petit Courrier » à Angers par exemple).
C’est d’ailleurs la foison de photographies prises à ce moment qui m’a aidé à identifier ces deux clichés tirés sur cette photo-carte.
La diffusion massive des photographies, même dans des journaux publiant peu de photographies, a fait de cette destruction un réel événement à un moment où il était préférable de mettre en avant une victoire aussi symbolique alors que la bataille de Verdun commençait fort mal.
L’impact fut grand en raison de la publicité faite à ce qui se passa, mais aussi parce que les Zeppelins étaient vus comme un outil de cette guerre menée par l’Allemagne, sans respect pour le droit des gens, semant la mort et la peur aveuglément dans les villes ciblées. En ce début de XXe siècle, ce qui vient du ciel est l’objet d’un réel intérêt de la population (il suffit de lire la presse des années précédant la guerre pour s’en rendre compte). Ce fait explique certainement la publication de clichés en grand nombre et la curiosité des soldats cantonnés à proximité de la carcasse.
- Identifier la carcasse sur les photographies
L’identification du Zeppelin sur les deux photographies au centre de cette recherche ne fait pas l’ombre d’un doute : sur l’image de gauche, on reconnaît l’amas métallique de la structure ; si le photographe avait pu faire un champ plus large, on aurait vu la nacelle et le moteur qui sont visibles sur la seconde image.
Seule la pale de l’hélice n’est pas visible, sinon on reconnaît parfaitement la nacelle et le moteur.
Le texte nous apprend que le soldat a vu le dirigeable se faire descendre. S’est-il rendu sur place ? Je reviendrai sur cette question plus tard. Ce fut un lieu couru quand on voit le nombre d’objets qui furent conservés comme « souvenirs » et même des clichés montrant les curieux.
La carcasse ne fut pas laissée sans surveillance comme l’attestent d’autres photographies.
Dans notre cliché, un soldat armé, légèrement flou, semble s’avancer sans avoir vu qu’une personne était en train de photographier. À noter que la personne qui a pris la vue tenait son appareil contre son ventre, ce qui explique le cadrage particulier. Sur le montage ci-dessous, les flèches indiquent les sentinelles armées (baïonnette au canon) visibles sur le cliché original.
« 3 [5?] mars
Mon Cher Pierre
Voici deux photos du Zeppelin que nous avons vu descendre. Je pense que tu es en dehors de la zone d’agitation, nous formons probablement le pendant, toi à droite et moi à gauche.
Quand vas-tu en permission ici elles sont supprimées. As-tu des marraines, j’en ai quatre dont une femme savante qui me fait un cours de philosophie.
Au revoir et bonne poignée de main.
Deshayes »
Une partie du texte a été coupée, ce qui nous prive de la date et de la signature. Je pense lire 3 ou 5 mars comme date. Il est douteux que la photographie ait été prise aussi tardivement, l’armée ayant fait évacuer la carcasse (je pense rapidement, mais je n’ai pas de chronologie). Un indice pourrait nous permettre de proposer une date un peu plus précise.
- Reconstituer la chronologie des photographies
La neige. C’est un point commun entre les photographies prises juste après que le Zeppelin ait été abattu. Mais la quantité de neige varie. Or, on sait que le dirigeable fut abattu une nuit claire et Charles Delvert, qui se trouve aux environs de Massiges à une cinquantaine de kilomètres à vol d’oiseau de Revigny écrit :
Mardi 22 février.
Il a tombé de la neige cette nuit. Aujourd’hui, tout est blanc.
Il a donc neigé après qu’il se soit écrasé, ce qui explique que sur les premières photographies prises une partie de la carcasse soit blanche, tout comme le terrain autour. Ainsi, ces deux photographies, publiées par « Le Miroir » dans son numéro du 5 mars 1916 ont dû être parmi les premières prises : le sol est entièrement blanc et de la neige recouvre certaines parties de la carcasse. « Le Miroir » n’a pas été le premier média à envoyer un reporter, il a simplement acheté des photographies certainement réalisées par la section photographique de l’armée. Je n’ai pas de certitude car les légendes n’indiquent pas la provenance des images : le « Petit Parisien » indique que les clichés viennent de son envoyé spécial… Seule certitude pour « le Miroir », il ne s’agit pas de clichés pris par un militaire qui aurait ensuite envoyé au journal les images pour gagner un peu d’argent. En effet, la même photographie a été utilisée dès le 24 février par le journal « Le Petit Parisien » et plusieurs autres, montrant les alentours couverts de neige par « Le Matin », et quelques jours plus tard par « Le Petit Courier » à Angers.
Comme le mentionnent plusieurs légendes, la série la plus utilisée fut prise par des correspondants aux armées. Ce sont elles qui ont été mises en premier à la disposition de la presse.
D’autres photographes sont venus ce 22 février, un peu plus tard dans la journée : le jour est bien levé, la neige a déjà partiellement fondu, phénomène accéléré par le piétinement des curieux. Je ne pense pas que ces clichés datent du 23 car toutes ont pour point commun de montrer le cadavre d’un Allemand et j’imagine que les autorités militaires ne l’auraient pas laissé plusieurs jours ainsi.
Il y eut tout d’abord l’agence Rol : la neige est encore présente, notamment sur certaines parties de la nacelle.
Et un peu plus tard dans la journée, un photographe pour l’agence Meurisse : la neige a complètement disparu au niveau de la trappe entre le moteur et l’hélice, mais pas sur l’autre face de la nacelle, les piétinements sont encore plus nombreux et la neige a bien fondu autour de la carcasse.
C’est de l’agence Meurisse que provient la majorité des clichés utilisés par la presse, à l’exception de ceux de la section photographique des armées :
On la retrouve également dans plusieurs ouvrages et surtout sur les cartes postales illustrant la destruction du LZ-77.
Toute cette longue démonstration était nécessaire pour montrer que les photographies envoyées par notre soldat sont postérieures au 22 février. Il n’y a plus de neige. Une tache blanche est visible sous la nacelle : est-ce de la neige, protégée de la fonte par l’ombre, ou une flaque d’eau ? S’il s’agit de neige, la photographie a pu être prise le 23, si c’est de l’eau, elle l’a forcément été avant le 3 ou le 5 mars, date de l’envoi de la carte, mais plus probablement dans les jours qui ont suivi le 22 février, le démantèlement de la carcasse ayant avancé.
Le démantèlement est d’ailleurs peut-être la raison de la présence d’hommes sur la carcasse.
Et il y a peut-être un lien avec la présence d’un homme derrière un instrument sur trépied : appareil de mesure ? Optique ? Photographique ?
- Un événement filmé !
Et si le trépied portait une caméra ? Non seulement le site a attiré des photographes, mais aussi des hommes de la Section Cinématographique de l’Armée Française. Ils ont tourné des images, probablement en fin de journée, il ne reste qu’un peu de neige sous la nacelle. Les images fixes sont intéressantes, les images filmées apportent un plus réel. On visualise le nombre d’hommes qui étaient présents, le terrain particulièrement boueux.
Ce film n’est actuellement plus disponible en ligne [août 2023]
La Section Cinématographique de l’Armée Française qui tourna et diffusa les images du film ci-dessus en fournit également en Angleterre. Voici donc d’autres images, probablement filmées le même jour, montées dans un film de 6 minutes au lieu d’une trentaine de seconde pour la première. Hélas, un filigranne IWM rend pénible le visionnage.
Accès direct au film sur le site de l’Inperial War Museums
- Un fait comme un autre ?
Pour le soldat qui a écrit la carte, si la destruction du Zeppelin vient en premier, il n’en donne aucun détail et semble plus intéressé par les nouvelles qu’il peut avoir de Pierre : ils se trouvent chacun d’un côté de Verdun, Pierre à l’est, l’auteur de la carte étant autour de Revigny, donc à l’ouest. Il lui parle de ses marraines.
Détail intéressant, il n’indique pas être l’auteur des photographies. Si ce n’est pas le cas (mais aucun moyen ne permet d’en avoir la certitude), un ami en a-t-il fait des tirages pour les camarades ? Un photographe a-t-il vendu ainsi ses clichés ? Seule l’existence d’autres photo-cartes identiques nous permettrait d’avoir quelques certitudes.
- En guise de conclusion
Même si une photographie peut sembler n’avoir à dire que ce qu’elle montre (ici, un événement local, les images ne montrant qu’une carcasse), il peut s’avérer utile de persévérer et de comparer avec d’autres clichés. Ici, la carcasse a tellement été photographiée qu’il devient possible de déterminer approximativement quand la photographie fut prise malgré l’absence d’indication à l’exception d’un élément : la neige. Il est probable qu’un spécialiste des dirigeables trouverait matière à développement en identifiant certains éléments visibles. Il y a toujours à dire !
- Pour en savoir plus sur la destruction du Zeppelin de Revigny :
Page du site de J.-M. Picquart sur la Grande Guerre de Verdun à Nancy.
Galerie de carte postales et page du site LzDream.
- Sources :
– Harry Vissering, Zeppelin – The Story of a Great Achievement, Chicago, Chicago, Printed by Wells and company, vers 1922. Accès direct à l’ouvrage sur le site Archives.org.
– Delvert, Charles, Carnets d’un fantassin, Paris, Albin Michel, 1935, page 154.
– Alloiteau Jean. Les Zeppelins attaquent à Revigny. In: Matériaux pour l’histoire de notre temps. 1985, N. 2. Chute du nazisme. pp. 32-35. url : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mat_0769-3206_1985_num_2_1_403896
Consulté le 22 juillet 2013
– Warin Patrice, Artisanat de tranchée : sur les traces du LZ 77, 14-18 magazine, février-mars 2005, N. 24. pp. 62-63.
« Le Miroir », n° 119, dimanche 5 mars 1916, pages8 et 9.
– Journaux et revues utilisés pour cette recherche et consultés sur Gallica :
« L’Image de la guerre » n°70 (mars 1916), pages 6 et 7. Accès direct au numéro sur Gallica.
Le Petit parisien du 24 février 1916. Accès direct sur Gallica.
Le Matin du 24 février 1916. Accès direct sur Gallica.
Le Petit Journal du 24 février 1916. Accès direct sur Gallica.
– Films :
Sur le site de l’Imperial War Museums (IWM 1204). Accès direct.
Sur le site du Centre National du Cinéma. Accès direct.
Photographies d’agence disponibles sur Gallica :
– Agence ROL (légendées : Revigny) 5 photographies. Accès direct sur Gallica.
– Agence Meurisse (légendées Brabant) 13 photographies. Accès direct sur Gallica.
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