Aller au contenu

22 – 302e RI, camp d’Auvours, avril 1912

Grâce à Léonard Seigneuret, l’auteur de la carte, voici enfin une étude qui commence en sachant qui est l’expéditeur, son unité, la date et le lieu de la prise de vue. Tout n’est pas parfait pour autant : on ne sait pas où est Léonard Seigneuret sur l’image. C’est l’occasion de l’étude d’un cas qui invite à la prudence quand on travaille sur ce type de documents.

  • Se méfier des apparences

Si je n’avais eu que la photographie sans texte au verso, j’aurais sans aucun doute écrit la phrase suivante : « Voici un groupe de vingt et un réservistes (ils n’ont plus vingt ans) du 102e RI lors d’une période d’exercices dans un camp ». C’est clairement ce qui est visible : vingt et un hommes, qui approchent des 30 ans, devant des toiles de tente et le numéro 102 qui apparaît clairement sur les cols de capotes et sur les képis. Pourtant cette dernière informations est inexacte.

Léonard a écrit son adresse : 22e compagnie, 302e d’infanterie. Uniforme du 102e pour une affectation au 302e, l’explication n’est pas compliquée. Le 302e RI est le régiment de réserve du 102e. En temps de paix, le 302e n’existe que quelques jours tous les deux ans à l’occasion de l’appel pour la seconde période d’exercices de deux classes de réservistes. C’est la période de 17 jours (depuis avril 1908). Le dépôt du 102e RI fournit les uniformes, mais sans découdre les pattes de col portant le « 102 ». Ces réservistes au 302e RI se retrouvent donc avec un uniforme du 102e.
D’où la nécessité d’être prudent dans l’interprétation des images montrant des hommes d’un âge proche de la trentaine dans des uniformes d’un régiment d’active. Les seuls moyens d’avoir des certitudes sont soit, comme ici, avoir un écrit du soldat indiquant son affectation, soit réaliser des recoupements entre la période d’exercices et le calendrier des unités de réserves mises sur pied à cette occasion.

Le 11 avril 1913
Cher coussien et coussine
Je vous en vois deux mots pour vou dir que jirai vous voir jeudi le 17 avril en rentren du camp jirai que l’aprè midi je sui toujour bien porten et je pense que ma carte vou trouve de meme tou les quatres, voila mon adresse en ca que vou serai pa a la maisson
Seigneureut Léonard au 302e d’infanterie au camp d’ovour 22e conpagnie Sarte

  • Retour à l’image

Grâce au texte, on sait que nos vingt et un hommes sont au camp d’Auvours, non loin du Mans dans la Sarthe. Ils posent devant des tentes.

Il est difficile d’identifier le lieu exact de la prise de vue. Dans la partie ouest du camp, où se trouvent les bâtiments et les lieux pour dresser les tentes. Pas dans la partie ouest réservée aux tirs. Mais avec un seul bâtiment en dur à l’arrière plan, il est difficile d’en dire plus.

Trois hommes sont totalement équipés : fusil, havresac, besace bien remplie. Les tenues sont assez disparates : ces réservistes ont été équipés avec des ceinturons, des cartouchières de différents modèles.

Pour les autres, la tenue est plus décontractée. L’équipement est absent, boutons non attachés, guêtres tournées ou enlevées. Certains ont même peut être été interrompus pendant le repos : l’un d’entre eux porte les espadrilles fournies à cet effet, deux autres ont un journal à la main.

La carte permet aussi de reconstituer en partie son trajet et de donner une chronologie des faits.

  • Parcours d’une photo-carte

La carte est écrite le 11 avril 1913. Elle part d’Yvré-l’Evêque, commune voisine du camp, le lendemain le 12 avril 1913. Il manque le jour de la prise de vue. Un détail permet d’émettre une hypothèse assez plausible quant à cette date : le 9 ou le 10 avril 1913. En effet, un homme tient un journal à la main dont on perçoit la couverture :

Or, un zoom sur ce journal permet d’en voir un quart de la première page :

J’ai tout de suite pensé au célèbre journal du début du XXe siècle : le Petit Journal qui était vendu partout en France. Direction Gallica qui permet de consulter tous les numéros. Hélas, pour mars et avril 1913 (je suis même remonté 6 mois avant), rien de ressemblant : la mise en page est différente et il n’y a pas de page identique à celle-ci.

Par contre, j’ai trouvé un détail intéressant. On devine que l’article de droite porte comme titre : UNE RECHUTE de Pie X. Or, dans le Petit Journal du 9 avril, on trouve un article sur le fait que le pape est tombé à nouveau malade (2). Il s’agit donc d’une information récente qui a été publiée autour du 9 ou du 10 avril. Reste à retrouver le journal en question.

Prise le 9 ou le 10, écrite le 11, partie d’Yvré-l’Evêque le 12 avril, cette photo carte nous donne aussi le nom d’un réserviste qui a sans aucun doute été rappelé à l’activité un peu plus d’un an plus tard.

  • Léonard Seigneuret

Le réflexe est classique : un nom et un prénom permettent une vérification dans le fichier des morts pour la France. Et là, surprise : non seulement, il y a un Léonard Seigneuret, mais en plus il est le seul. Certes, il peut y avoir plusieurs Léonard Seigneuret en France qui ont pu survivre à la guerre. Cependant, un faisceau de présomptions fait penser qu’il peut s’agir de notre homme.

La consultation de la fiche matricule aux Archives départementales d’Eure-et-Loir permettra d’avoir des certitudes : elle permettra de savoir si le Léonard Seigneuret de la fiche MDH a bien fait une période d’exercices au 302e RI (ou 102e RI) en avril 1913. D’autant plus que nous savons que le Léonard de la carte est revenu en passant voir sa famille le 17 avril (c’est son projet en tout cas). Une période de 17 jours allant du 31 mars au 16 avril ou du 1er au 17 avril. Si tel est le cas, il s’agit du même homme.

Le faisceau de présomptions malgré l’absence de la fiche matricule ? Le Léonard Seigneuret tué à la guerre vivait en Eure-et-Loir. Son décès est déclaré à Châteaudun. Le 102e RI de Chartres recrutait en Eure-et-Loir et un arrêt sur son trajet de retour vers Châteaudun ou une commune voisine est cohérent avec ce qui est écrit dans la carte. Les recensements de la population des communes d’Eure-et-Loir sont disponibles en ligne, mais uniquement jusqu’en 1901, ce qui est trop ancien pour être exploitable sur cette question.

On pourrait facilement avancer que l’homme de la fiche est tombé au 413e RI et non au 302e RI. Peu d’hommes sont restés dans le même régiment tout au long du conflit. Par exemple, un passage au dépôt pour blessure suffisait à être envoyé en renfort vers un autre régiment. De plus, le 302e RI a été dissous en mai 1916 et ses hommes versés dans d’autres unités. Cela ne rend donc pas l’hypothèse caduque mais seule la fiche matricule pourra permettre d’être plus affirmatif. A suivre…

  • En guise de conclusion (1, décembre 2011)

Une photo-carte de groupe, même si elle a un aspect anodin, peut se révéler très riche. Au final pourtant, de nombreux points restent dans l’ombre et font que ce type de recherche peut rarement être considéré comme définitivement achevé. Mais cela donne aussi le plaisir de revenir sur un document plus tard, car vu que ce document ne peut parler, c’est bien à celui qui le regarde de tirer partie de chaque détail.

  • De l’hypothèse à la certitude

La consultation de la fiche matricule de Léonard Seigneuret aux Archives départementales d’Eure-et-Loir a donné les réponses attendues et a confirmé que l’homme qui a écrit la carte est celui qui est décédé. Léonard Seigneuret a fait une période d’exercices au 102e RI du 1er au 17 avril 1913, ce qui correspond à ce qui est écrit sur la carte.
Affecté au dépôt du 102e RI, il le quitte le 11 septembre 1914 : ce jour là, le 302e RI reçoit 2 officiers et 500 hommes. A la dissolution du 302e RI le 1er juin 1916, il passe au 312e RI (ce qui nous apprend que Léonard Seigneuret était au 6e bataillon du 302e RI). Puis, à sa dissolution, au 413e RI le 21 janvier 1917. C’est dans cette unité qu’il disparaît le 22 mai 1917 au plateau de Californie.

  • Identifier Léonard Seigneuret sur la photographie ?

Ce n’est, pour une fois, pas une tâche impossible en théorie. En effet, sa description dans sa fiche matricule nous indique qu’il est châtain clair et surtout qu’il ne mesure qu’1,52 m ! Cependant, avec des hommes assis, couchés et des teintes de gris, il n’est vraiment pas facile de conclure !

  • En guise de conclusion (2, janvier 2012)

Il est plaisant d’aller jusqu’au bout de la recherche et de déterminer si les hypothèses émises sont exactes. Qu’il est regrettable qu’il ne nous ait pas dit où il était sur la photographie. Il manque, malgré les indices, un visage.

  • Sources :

Gallica, Le Petit journal, 9 avril 1913.
SGA – Mémoire des Hommes.
SHD, JMO du 302e RI, 26N745/11.
Archives départementales d’Eure-et-Loir, 1 R 832.


Retour à la galerie des recherches sur les photographies d’avant 1914

Étiquettes:

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *